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M. Berlioz, l’inspiration prophétique coule dans ses veines et fermente dans son cerveau ; il rêve des effets sublimes, gigantesques, inouis ; toutes les harpes du roi Salomon sonnent à ses oreilles, et la Jérusalem nouvelle se lève pour lui resplendissante au milieu des vapeurs de l’avenir. M. Berlioz obéit au dieu qui l’entraîne ; mais une fois sa messe composée, où la produire ? sur quel terrain assez solide élever cette architecture de sons ? quelle enceinte capable de contenir sans éclater cette musique solennelle ? M. Berlioz demande l’église des Invalides, et, sur la foi d’une symphonie, ou, pour mieux dire, d’un fragment de symphonie, on la lui donne toute parée pour une fête nationale. Le service en l’honneur des glorieux morts tombés devant Constantine : quelle fortune pour un musicien que son inspiration travaille ! quelle occasion pour le génie de se répandre en élégiaques douleurs, en hymnes échevelés et triomphans ! d’inonder le marbre de ses larmes fécondes, de pousser vers le ciel sa jérémiade sublime ! Eh bien ! le croira-t-on ? de tant d’élémens assemblés M. Berlioz ne sait que faire. Sa musique, à la fois chargée de couleur et terne, bruyante et inanimée, s’épuise à chercher l’expression puérile de la lettre, sans s’élever jamais jusqu’à l’esprit, et se perd dans une sorte de plasticité sonore. Or, pour réparer cet échec fait à son nom, M. Berlioz en appelle de l’église à la scène, et sur-le-champ, comme l’enceinte des Invalides, la salle de l’Opéra s’ouvre à lui. Voilà donc le musicien que des amis imprudens et maladroits s’efforcent de nous donner comme une victime lamentable de son propre génie ! Il est vrai que le public ne prend guère au sérieux ce manége, où les esprits les moins clairvoyans ont bientôt découvert une ruse assez habilement ourdie. En effet, on ne perd jamais son temps à proclamer martyr celui qu’on ne peut encore s’aviser de sacrer roi. Pour les imaginations excentriques, la proscription vaut la gloire.

Qu’on nous dise à présent quels moyens ont manqué à M. Berlioz de se produire, quelle porte est demeurée close à la sollicitation persévérante du marteau d’airain de sa musique. M. Berlioz a traversé déjà la salle des concerts qui suffit à Beethoven, l’église qui suffit à Sébastien Bach, le théâtre qui suffit à Rossini ; si M. Berlioz n’est encore ni Sébastien Bach, ni Beethoven, ni Rossini, à qui s’en prendre ? Est-ce la faute de l’indifférence dédaigneuse du public ? Non certes ; de son mauvais goût peut-être, peut-être bien aussi du mauvais goût de M. Berlioz. Il est si facile, en effet, au génie de se mettre d’abord avec les sympathies communes, sans rien abdiquer de sa force originale et de sa spontanéité naturelle ! Il suffit pour cela de vou-