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MUSICIENS FRANÇAIS.

mâle obstination, et c’est à ce titre, on peut le dire, que M. Berlioz se rattache à la famille de Beethoven, de Weber, de toutes les volontés fermes, résolues et militantes. Lorsqu’il s’agit d’arriver à ses fins, rien ne le rebute, ni l’insuffisance des moyens d’exécution (où trouver, en effet, assez de voix, assez d’instrumens, assez d’espace, pour réaliser ces imaginations gigantesques ?), ni l’indifférence déplorable dont le public paie le plus souvent tant de labeurs ingrats courageusement entrepris, tant d’inquiétudes traversées, tant de maux soufferts avec amertume. En cela, du reste, M. Berlioz ressemble à tous les gens qui se sont mis en tête une idée vraie ou fausse, et chaque jour se l’enfoncent plus profondément avec le marteau de fer d’une conviction opiniâtre, et qui ne cède à rien. Ces gens-là sont un peu comme des soldats engagés à l’aventure dans un mauvais pas dont on ne peut sortir sans gloire ; il s’agit pour eux de vaincre ou de mourir à la tâche. Après la sensation du succès, terme de toutes leurs espérances, de toutes leurs passions, de tous leurs vœux, il n’y en a pas au monde qu’ils recherchent plus avidement que celle du martyre. Après tout, la couronne d’épines est encore une couronne, et, dans la soif insatiable de publicité qui les dévore, ils aiment mieux une position désespérée, du fond de laquelle ils peuvent s’emporter à loisir contre la multitude qui passe son chemin et retourne aujourd’hui où ses plaisirs d’hier l’appellent, qu’une destinée heureuse et calme qu’ils se seraient faite si facilement entre la gloire du génie qu’ils ne peuvent atteindre et les ambitieuses tortures du martyre qui ne sont plus de notre temps ! Hélas ! n’est pas martyr qui veut ; l’art ne fait guère plus de victimes aujourd’hui que la religion. En quel temps la carrière a-t-elle été plus facile et plus douce à parcourir ? En quel temps a-t-on vu, je ne dis pas le génie, mais le simple talent, qui sait se comprendre et se modérer, arriver plus vite à la renommée, à la fortune, à cette influence suprême qui vous vient de la sanction publique ? Quelle noble pensée meurt en germe ? quelle flamme s’éteint faute d’aliment ? Et cette sollicitude de tous, qui, du reste, ne fait défaut à personne, si ce n’est aux poètes quelquefois, semble surtout s’exercer à l’égard des musiciens avec plus d’intelligence et de curiosité. Qu’on nous cite quelque part, en France, en Italie, en Allemagne, un nom glorieux ignoré, et l’on verra si les plongeurs manquent pour aller le chercher sous les flots de mélodie qui l’enveloppent, et venir ensuite l’exposer au soleil, comme une perle humide. Et pour ne citer qu’un exemple, un beau matin, la fougue religieuse descend dans la poitrine de