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venté quelque chose de fort magnifique et de fort beau, mais, ne vous en déplaise, de parfaitement étranger à l’art mélodieux des sons. Algèbre ou métaphysique, de quel nom appeler cet assemblage monstrueux, quelquefois grandiose ? Vraiment, je ne le sais. Tâchez de vous entendre sur ce point avec Pythagore et Platon, qui entrevoient, eux aussi, une musique infinie universelle, et qui n’a, comme la vôtre, aucun rapport avec l’art de Cimarosa, de Mozart et de Beethoven. La musique n’a que faire de tant de paradoxes confusément entassés. Dès le premier jour, vous vous êtes mépris sur sa nature, sa destination, son essence. Aussi elle vous a bientôt échappé, elle s’est enfuie de vous, et de plus en plus le torrent de vos orchestres vous entraîne loin d’elle. Allez, vous aurez beau mettre en émoi toute l’artillerie de vos masses de cuivre, vous ne ferez pas que la musique ne soit encore aujourd’hui ce qu’elle a toujours été, ce qu’elle ne cessera jamais d’être, l’expression par la mélodie des grands sentimens de l’ame, je veux dire par la mélodie tempérée des combinaisons instrumentales, dont pas un esprit sérieux, en Italie comme en Allemagne, ne songe à vouloir abdiquer les ressources. La musique touche, exalte, transporte, mais sans convulsion, sans fièvre ardente, sans paroxisme dangereux ; les larmes qu’elle fait jaillir des sources du cœur sont douces à répandre et ne glissent pas sans volupté sur les paupières qu’elles mouillent. Non, la douleur qui vient des sensations de l’art, la douleur idéale et pure, qui vous élève vers le ciel, ne ressemble pas à la douleur physique, dont la main de plomb ne sait que vous abattre et vous briser. Elle n’a ni rides sur la face, ni écume sur la bouche, ni cheveux hérissés sur la tête ; elle est mélancolique comme la nuit, calme et blanche comme le marbre de Paros. La musique, enfin, comme je me la figure, comme il me semble que toujours Mozart et Rossini, Beethoven et Weber eux-mêmes, ont dû se la figurer, c’est la Malibran en extase, chantant le Saule, par une belle soirée des Italiens.

Voici tantôt huit ans que M. Berlioz s’efforce d’attirer sur lui l’attention publique, et consume sa vie à lutter contre les éternelles, les plus incontestables vérités de l’art ; lutte folle, sans doute, mais vaillamment soutenue, à laquelle certains petits succès d’escarmouche, enlevés çà et là sans qu’on y prenne garde, ont pu donner une apparence de raison. Pour ce qui touche les intérêts de la cause qu’il défend, M. Berlioz n’est pas de trempe à se laisser facilement décourager. Si jusqu’à présent il s’est abstenu de montrer qu’il eût en lui la fécondité naturelle, la force originale et créatrice du génie, il donne chaque jour la preuve qu’il en a la persévérance généreuse, la