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REVUE. — CHRONIQUE.

le général Bugeaud avait parlé avec toute la sévérité que lui commandaient les réglemens militaires. Bientôt, frappé des suites que devait avoir son rapport, il écrivit au chef de l’armée, pour recommander le général de Brossard à sa bienveillance. Le roi répondit en signant l’ordonnance qui envoyait le général de Brossard devant le conseil de guerre de la 21e division militaire. Comment souffrir de tels abus ? dit à ce sujet un journal. S’adresser directement au roi, n’est-ce pas là le renversement de l’ordre constitutionnel ? s’écrie un autre. À coup sûr, dit un troisième, si le maréchal Soult se fût trouvé à la tête du département de la guerre, un tel scandale n’eût pas eu lieu. Et on ajoute que de pareils faits tournent au détriment de la royauté, qui se trouve compromise aux yeux de ceux qui craignent sans cesse de la voir sortir de ses attributions. Il est vrai que le bout de l’oreille se trahit bien vite sous cette sollicitude pour la royauté, et qu’on termine en disant : N’est-il pas temps qu’un tel état de choses finisse, et qu’un ministère sérieux vienne mettre la monarchie à l’abri de ces dangers ?

Nous ne savons de quels dangers de la royauté parlent les feuilles en question. Si c’est du danger d’être attaqué par l’opposition actuelle, assurément il n’est pas de meilleur moyen d’en préserver le trône que de changer le ministère, et de donner les portefeuilles à la coalition, qui se montre si empressée de les saisir. Mais, à notre sens, le temps n’est pas encore venu, et le ministère actuel nous semble avoir assez bien réussi à prévenir le danger qu’il y aurait pour la royauté à sortir de ses attributions, en renvoyant le général de Brossard devant un conseil de guerre. En supposant même que, dans cette circonstance, le général Bugeaud eût un peu dépassé ses droits, en s’adressant directement au roi, pour obtenir que le général Brossard fût soustrait aux conséquences qui résultaient pour lui des rapports du général, le ministère n’a-t-il pas tout ramené à la légalité en n’ayant égard qu’au rapport du général au ministre, et non à ses pétitions au trône ? Qu’eussent fait de plus le maréchal Soult, dont la presse n’a pas toujours vanté, comme elle le fait aujourd’hui, les tendances constitutionnelles, et même le ministère normal que prépare l’opposition ? Le ministère qui a soustrait Mme la duchesse de Berry à un tribunal civil ne serait-il pas un peu cousin de ce ministère encore en herbe dans la coalition, qui accuse le cabinet actuel d’avoir eu la pensée d’éviter un jugement militaire au général Brossard ? C’est là, en vérité, faire bonne garde autour des principes constitutionnels, nous ne le nierons pas ; mais nous ne savons si c’est une bien bonne sentinelle que celle qui jette des cris d’alarme quand le poste qu’elle surveille n’est pas même menacé.

Le nom du maréchal Soult, jeté là en avant à propos de principes constitutionnels, explique ce qui se passe au sujet du général Bugeaud. On l’a accusé d’abord avec violence. Ses franches et loyales déclarations au conseil de guerre de Perpignan, l’examen rigoureux qu’il a fait de sa propre conduite, n’ont pas affaibli la violence des attaques dont il était l’objet ; mais bientôt on s’est flatté de tirer quelque parti de la susceptibilité militaire du général Bugeaud, et l’on s’est mis à le louer pour l’exciter contre le ministère. Aujour-