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frique où il comptait faire une périlleuse campagne, atteindre Abd-el-Kader et le forcer à combattre, selon le plan qu’il communiquait au ministère, le général Bugeaud, dévoué depuis long-temps aux intérêts de sa localité, emportait la pensée de lui être utile, même dans cette campagne. Il savait qu’il était d’usage, en Afrique, de terminer une guerre par des présens, et, dans cette prévoyance, il demandait une autorisation ministérielle, non pas seulement pour accepter le présent d’Abd-el-Kader, mais pour en faire une donation publique et officielle à son arrondissement. Le général ne séparait pas l’acceptation de la donation qui devait s’ensuivre. Assurément, s’il y avait quelque illégalité dans ce projet, ce qui n’est pas en discussion à cette heure que la demande a été repoussée par le conseil, le général ne comptait pas du moins le soustraire à la discussion, puisque c’était au Moniteur qu’il voulait confier cette affaire secrète. Le ministre des affaires étrangères, en répondant au général qu’il en référerait au conseil en temps et lieu, s’écartait-il, de son côté, des principes constitutionnels ? L’opposition ne dit-elle pas, chaque jour, que c’est au conseil des ministres que doivent se juger toutes les affaires, et non isolément ? Qu’est-il résulté de cette délibération du conseil ? un refus formel. Personne ne le niera. Ainsi, de quelque côté que nous portions les yeux, nous voyons que chacun a fait son devoir : le ministre, en portant la demande du général au conseil ; le conseil, en la repoussant ; et le général, en refusant le présent d’Abd-el-Kader.

Qu’on veuille bien maintenant relire les journaux, au sujet de cette double affaire. Le général Bernard avait autorisé, selon eux, le général Bugeaud à disposer d’un bénéfice de 20,000 francs, au profit du général de Brossard, et peu s’en fallait qu’on ne proposât de mettre le général Bernard en accusation. Rien n’a arrêté les adversaires du gouvernement dans leurs accusations, rien n’en a modéré la forme, ni la longue carrière du général Bernard, ni cette glorieuse réputation d’intégrité qu’il a laissée en Amérique, où il a fait exécuter de si grands travaux.

Quant à M. Molé, l’animosité que lui vaut sa présence aux affaires, qui se prolonge trop au gré des impatiens, a été plus loin encore. Un journal a affirmé, sans ambages, et comme la chose la mieux prouvée, qu’il avait gracieusement permis au général Bugeaud de disposer des 20,000 francs sur les fusils, à sa fantaisie. Ailleurs on a écrit que le président du conseil avait autorisé le général à stipuler un don de 100,000 boudjous par un article secret au traité de la Tafna, tandis, au contraire, que la demande du général fut faite quelques jours après l’envoi du traité. En même temps on invoque la morale publique contre M. Molé ; on s’écrie qu’il est sous le poids d’une grave accusation, et l’on déclare que les hommes placés à la tête du pays autorisent des menées honteuses et de scandaleux tripotages. Puis, on demande à grands cris que le ministre coupable de ces forfaits soit appelé devant le tribunal des chambres. Voilà pourtant l’esprit de la presse !

Mais l’opposition ne s’arrête jamais à moitié chemin, et elle fait sa tâche en conscience. Dans ses rapports confidentiels sur le général de Brossard,