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perdraient par le fait le droit de siéger à la chambre des représentans ; en un mot, pour réformer l’Université, qui, dit-on, fait trop de littérateurs, on nous jetterait, comme la Chine, sous la domination exclusive d’une classe de lettrés.

Pour résumer les objections soulevées par le plan de réforme de M. de Girardin, nous dirons que la prétention de donner gratuitement et uniformément aux citoyens d’un grand état une instruction suffisamment étendue est chimérique ; qu’on atteindra les limites du possible, si les écoles primaires corrigent cette stupide ignorance qui fait croupir le plus grand nombre dans une sorte d’infirmité morale ; mais que, par malheur, la véritable culture de l’esprit sera toujours un privilége, parce qu’elle exige, outre l’aptitude naturelle, une discipline soutenue pendant de longues années, des maîtres de choix, des instrumens d’études, toutes choses qu’on ne peut réaliser sans fortune. En conséquence, une institution intermédiaire, comme celle de l’Université, un gymnase consacré à l’exercice de l’intelligence, nous paraît nécessaire, et, selon nous, les classes industrielles elles-mêmes, si elles s’en écartaient systématiquement, se condamneraient à une véritable infériorité. Nous admettons que tout homme de sens doit se vouer à une spécialité et approfondir les connaissances qui s’y rattachent, mais qu’il y doit apporter un jugement sain et bien préparé par une forte éducation générale. Nous croyons, enfin, qu’on s’exagère l’influence des écoles professionnelles ; que les hommes qui font date en sont rarement sortis, et que trop souvent les diplômes qu’elles délivrent deviennent les passeports de la médiocrité.

Quiconque aura lu attentivement le livre que nous venons d’examiner, demeurera convaincu que l’auteur n’a pas craint d’aborder sans préparation et avec une confiance étourdie un des plus graves problèmes qui puissent préoccuper le moraliste et l’homme d’état. Ce livre nous est présenté comme introduction à une série d’ouvrages qui doit embrasser les points importans de la science sociale. Si M. de Girardin n’accorde pas plus de méditation aux graves matières qu’il se propose de discuter, il compromettra sérieusement, nous devons l’en prévenir, le brevet de capacité universelle que ses flatteurs lui ont déjà décerné.


Nous prévoyons à notre tour une objection. Cette divergence d’idées que tout le monde déplore, nous dira-t-on ; cette lassitude des esprits qui est, pour ainsi dire, officiellement reconnue, puisque le ministre de l’instruction publique nomme une commission pour ranimer les hautes études, ce partage sans repos et sans but, ce doute inquiet, n’accusent-ils pas l’état présent des choses ? Il se peut. Néanmoins, les plus dangereux de tous les remèdes proposés sont, selon nous, ceux qui tendent à détruire le corps universitaire. Il faut au contraire lui rendre sa constitution saine et vigoureuse, et faire en sorte qu’il fonctionne conformément à son but.

N’oublions pas toutefois qu’en matière d’instruction publique les réformes sont difficiles, et que les intentions les plus louables viennent souvent échouer