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tellectuelle par l’apprentissage d’un état utile, tel est le problème dont M. de Girardin prétend fournir la solution. Les bienfaits de sa découverte sont même annoncés par des phrases de prospectus comme celles-ci : « Hiérarchiser la société en établissant la hiérarchie des intelligences, diminuer progressivement le nombre des prétentions de toutes natures, et accroître indéfiniment le nombre des supériorités en tous genres, corriger la superficialité des esprits par la spécialité des études ! » (Conclusion, page 404.) Nous l’avouerons tout d’abord, nous ne sommes pas de ceux que ces brillantes promesses pourraient éblouir. Nous craignons même pour l’auteur qu’il ne soit tombé parfois dans les défauts qu’il signale lui-même comme les symptômes de faiblesse particuliers à notre époque, et qui consistent à pousser en avant des théories, avant d’avoir calculé les impossibilités et les résistances, à enjamber bravement sur les contradictions, à renverser ce qui est pour se rendre utile à reconstruire.

La première partie du livre de M. de Girardin est consacrée à l’instruction primaire, qui, dans la nouvelle théorie, s’élève à la dignité d’enseignement national, et est présentée, sauf quelques variantes au programme des cours, comme une préparation suffisante à l’étude d’une profession. Sans doute, il serait à désirer que tous les membres de la communauté française, égaux en droits, reçussent en fait la même culture ; nous ne savons si cette utopie sera jamais réalisée ; mais assurément, et ce n’est pas sans tristesse que nous consignons ici cette conviction, des siècles se passeront avant que le fils du riche agronome ou du manufacturier puisse raisonnablement se contenter de l’éducation offerte gratuitement par les écoles primaires. M. de Girardin l’a fort bien dit : les obstacles que doit rencontrer toute tentative d’éducation nationale sont matériels et moraux ; seulement, il a eu le tort de ne pas s’arrêter pour mesurer gravement ces obstacles. Il nous paraît donc à propos, pour réparer cet oubli, d’emprunter quelques détails à un livre récemment publié et qui porte un caractère officiel. Avant de mettre à exécution la loi du 28 juin 1833, M. Guizot, alors ministre de l’instruction publique, sentit la nécessité de faire constater l’état des écoles populaires. — « Au signal donné, cinq cents inspecteurs partirent ensemble, gravirent les montagnes, descendirent dans les vallées, traversèrent les fleuves et les forêts, et portèrent dans les hameaux les plus lointains, les plus sauvages, la preuve vivante que le gouvernement ne voulait plus rester étranger désormais à l’éducation du plus humble citoyen. Les rapports adressés au ministre par les hommes chargés de cette mission présentaient toutes les garanties souhaitables ; pour la plupart, professeurs de collège, magistrats, membres de comité, ils n’avaient aucun intérêt à exagérer le bien ni le mal. » — C’est ainsi que s’exprime M. Lorain, qui a résumé et reproduit par fragmens ces rapports, pour en faire un Tableau de l’Instruction primaire en France[1] ; tableau d’un

  1. Un vol.  in-8o, chez Hachette.