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LA PUCELLE DE CHAPELAIN.

Pour être à la hauteur de cette doctrine du malheur et de l’expiation, Chapelain n’a point eu besoin d’autres inspirations que celles que lui donnait la religion. Le christianisme comprend admirablement le malheur ; il en sait le sens et il sait aussi les paroles qui le consolent et qui l’apaisent. Heureux ceux qui pleurent ! l’adversité, loin d’être un effet de la colère de Dieu, est un effet de sa bonté. Dieu bénit ceux qu’il afflige, il les purifie par la douleur et les prépare dès cette vie au bonheur de la vie future. C’est aux heureux de ce monde à trembler pour leur salut. Voilà les idées chrétiennes ; de là tant de dévouemens merveilleux, tant de patiences héroïques, tant de résignations qui tiennent du miracle ; la souffrance acceptée avec joie, l’humiliation reçue comme un bienfait, la misère supportée avec espérance ; de là enfin les sentimens de Jeanne d’Arc dans son cachot.

Elle bénit ses fers, s’accommode au malheur,
Et même avec plaisir éprouve la douleur.

Il me reste une dernière remarque à faire : pourquoi le poème de Chapelain, où le caractère de l’héroïne est noble et grand, où les sentimens sont élevés, où il y a même parfois de beaux vers, pourquoi ce poème est-il tombé dans un aussi profond discrédit ? C’est que malheureusement Chapelain est venu dans un temps de révolution pour la langue. Il est venu à un moment où la langue n’était pas fixée d’une manière certaine, avant Boileau et avant Racine. Ces fondateurs de notre langue ont détruit, par le style qu’ils ont créé, le style de Chapelain, et comme, dans les ouvrages de littérature, la forme est tout ou presque tout, la forme, qui était mauvaise dans Chapelain, a emporté le fond, quelque bon qu’il pût être. Pour vivre avec le style qui a précédé le style de Boileau et de Racine, il fallait le génie de Corneille, et disons même que Corneille, à force de génie, a su souvent trouver la langue de Racine, et que, quand son style est aussi pur que celui de Racine, il est en même temps plus fort et plus vigoureux : voilà ce qui le fait vivre. Chapelain, à qui le génie manque, qui n’a que du talent, Chapelain a été trahi et accablé par le style de son temps, et c’est en vain qu’il a trouvé un sujet admirable, où la grace s’allie à l’héroïsme, où le merveilleux est populaire et national, le seul sujet qui soit vraiment épique dans toute l’histoire moderne ; c’est en vain qu’il a respecté son héroïne, et l’a gardée pure de toutes passions humaines, sans cesser de la rendre intéressante. Soins inutiles ! la langue de son temps a entraîné son poème dans l’oubli où elle est tombée elle-même.


Saint-Marc Girardin.