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REVUE DES DEUX MONDES.

Des divins jugemens les claires interprètes,
Mes voix, mes saintes voix désormais sont muettes !

Ainsi, la guerrière refuse de combattre. Elle sent qu’elle n’est propre désormais qu’à être une victime offerte à la justice de Dieu ; on la presse, on l’outrage presque par des reproches ; alors, s’oubliant ou plutôt se sacrifiant, elle s’écrie :

Soit ! dit-elle, un cheval, un harnois, une épée !
Que du sang bourguignon la terre soit trempée.
Qu’elle le soit du mien !
Allons où nous conduit l’inévitable sort !
Allons où nous attend l’inévitable mort !

Ce sont là, certes, de grands sentimens ; mais qui donc a révélé à la Pucelle, ou plutôt à Chapelain, cette loi de l’expiation qu’attestent toutes les traditions antiques, et que l’histoire même de nos jours n’a point démenties, quelque insouciante et quelque dédaigneuse qu’elle soit des choses qu’elle ne comprend pas ? loi singulière qui semble du même coup abattre l’humanité et la rehausser, qui, par le malheur, ramène le héros à la taille de l’homme, et par le malheur aussi l’élève jusqu’à Dieu ! C’est l’adversité qui achève et accomplit les héros. Jusque-là il manque quelque chose à leur gloire, car ils ont pu étonner le monde, mais ils ne l’ont point attendri. Tant qu’ils n’inspirent que l’admiration, ils n’ont qu’une grandeur commune et banale. Pour consacrer cette grandeur, il faut la pitié du genre humain, il faut qu’ils redeviennent hommes par l’infortune ; alors Dieu, du fond de l’abîme où il les a plongés, les rappelle à lui. Dites, si vous pouvez, dites les noms des héros qui n’ont pas payé tribut à cette loi mystérieuse, dites les gloires qui n’ont pas abouti au malheur, les hommes qui, ayant dépassé d’en haut le niveau de l’humanité, ne l’ont pas bientôt aussi dépassé d’en bas ! Cherchez dans les légendes des mythologies, dans l’Edda, dans les Nibelungen, Prométhée, Hercule, Achille, Sigefrid, Attila ; partout le malheur termine et couronne la grandeur. Laissez-vous la fable pour venir à l’histoire de nos jours ? Voyez Napoléon à Sainte-Hélène, quelle expiation ! La mythologie n’a rien de plus grand, et l’imagination de l’homme languit auprès de la merveilleuse réalité de cette destinée, que Dieu semble avoir créée tout exprès dans notre siècle et dans notre société, pour y ressusciter l’idée qu’il y a des règles surnaturelles qui gouvernent les fortunes humaines, et que ce qui se fait sur la terre et par les hommes, ne vient pas de la terre et des hommes !