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tient à leur virginité, et, chose remarquable, cette haute estime de la virginité et l’idée de force qui s’y attache ne vient pas du christianisme, qui a tant relevé et glorifié la virginité ; elle vient du Nord, elle vient des saintes inspirations de la poésie primitive, je dirais presque qu’elle vient de la nature elle-même, tant elle me semble antique et immémoriale, l’homme, dès ses commencemens, ayant compris (était-ce une révélation ?) que les forts sont ceux qui se vainquent eux-mêmes, que la vertu est dans le dévouement, que la grandeur est dans le sacrifice !

Les Amazones, les Brunehaut, les Bradamante, sont, outre leur antiquité, une belle et gracieuse tradition qui plaît à l’imagination. Aussi un poète épique du temps de Louis XIV, Desmarais, a pensé qu’il ne pouvait rien faire de mieux que de mettre dans son poème de Clovis, non pas une ou deux femmes guerrières, mais un escadron tout entier :

Cinquante chevaliers et cinquante guerrières
Presque d’âge pareil, de beautés singulières,
Couple à couple marchaient ....
Tous sur de blancs genêts que fit naître l’Espagne.
Chaque amant admirait son aimable compagne.
................
Et l’amante et l’amant, au milieu des combats,
S’animaient l’un par l’autre au mépris du trépas.

Nouvelle et notable décadence de la tradition ; ici les guerrières vont couple à couple avec les guerriers.

Appliquons maintenant, au sujet de Jeanne d’Arc, les idées que nous pouvons tirer de cette histoire abrégée de la femme guerrière. Non-seulement ce sujet est merveilleux, national, populaire ; mais, par la nature même de l’héroïne, ce sujet, comme on le voit, se rattache aux plus anciennes traditions des poésies germaniques. Jeanne d’Arc est la dernière héroïne des temps modernes, la dernière héritière des Amazones, des Clorinde, des Brunehaut, des Alvida ; c’est elle qui vient en quelque sorte clore la liste de toutes ces femmes guerrières que nous voyons briller dans les romans de chevalerie. De tous les côtés donc le sujet est grand et curieux : il est vraiment épique.

Après ce préambule, j’aborde le poème de Chapelain. Je laisse de côté quelques beaux vers que je pourrais citer, et qui vengeraient peut-être Chapelain des sarcasmes de Boileau ; témoin ces vers sur Dieu, que Voltaire, dans sa Henriade, a imités sans les égaler :