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LA PUCELLE DE CHAPELAIN.

Charmés de sa beauté et de son courage, ces pirates la prirent pour chef. Elle fit avec eux des exploits incroyables. Alf, ayant appris cette résolution, résolut de poursuivre Alvida partout où elle irait. Un jour qu’il voguait vers la Finlande, au moment d’entrer dans un golfe étroit, il envoya une barque en avant pour examiner les lieux. On lui rapporta que le port était occupé par quelques vaisseaux. C’était Alvida. Quand elle vit se présenter à l’entrée du golfe des vaisseaux inconnus, elle alla aussitôt à leur rencontre, aimant mieux attaquer l’ennemi que de l’attendre. Les compagnons d’Alf l’exhortaient à se retirer : il répondit que ce serait un déshonneur, qu’on pût aller dire à Alvida que la vue de quelques vaisseaux avait fait fuir Alf. Il parlait ainsi et ne savait point que c’était elle-même qu’il allait attaquer.

Les Danois cependant admiraient la beauté, la grace et la légèreté de leurs adversaires, et ignoraient quelle en était la cause. Mais bientôt le combat s’engagea, et Alf s’élançant sur le vaisseau d’Alvida, le parcourut de la proue à la poupe en faisant un grand carnage des pirates. Son fidèle Barcar marchait derrière lui ; d’un coup de son épée il fit tomber le casque d’Alvida. La jeune fille alors parut dans toute sa beauté et fut reconnue. Cela fit cesser le combat. Alf fut ravi de voir que celle qu’il avait tant poursuivie et à travers tant de dangers, était enfin en sa puissance. Alvida fut forcée de reprendre les habits de son sexe ; Barcar eut pour femme une des compagnes d’Alvida.

Ainsi voilà deux traditions, l’une plus ancienne, l’autre plus récente ; la première, qui porte les traces de l’inspiration religieuse, car, dans l’Edda, Brunehaut n’est pas seulement la femme guerrière, c’est la femme prophétesse, c’est une sorte de Velleda ; la seconde, où se montre déjà l’altération des traditions, où il y a d’autres mœurs, d’autres idées, d’autres aventures : Alvida n’est plus la prêtresse guerrière ; elle subit l’influence des mœurs scandinaves ; elle est pirate. Cependant des deux côtés c’est la même tradition ; il y a plus, c’est le même caractère et le même principe. Comme Brunehaut et comme la Velleda des Druides, Alvida renonce à l’amour et au mariage ; sa chasteté fait sa renommée et sa force. Telles sont aussi les héroïnes que nous trouvons dans les romans de chevalerie ; elles sont grandes et fortes tant qu’elles sont vierges, tant qu’elles s’imposent un sacrifice et une obligation ; c’est à cette condition qu’elles donnent ces grands et beaux coups d’épée qui nous émerveillent ; une fois vaincues par la passion, ce ne sont plus que de simples femmes. Leur héroïsme