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aventures, tout cela ressemble quelque peu au sommeil de la Belle au bois dormant, causé par le fatal fuseau de la vieille femme : bizarre généalogie de ces légendes mystérieuses qui commencent par la poésie épique, passent par les romans de chevalerie et aboutissent à des contes d’enfant.

Dans ses traditions quasi-historiques, le vieux chroniqueur du Danemark, Grammaticus Saxo nous raconte aussi des prouesses d’héroïnes. Voyez l’histoire de la pirate Alvida :

Le roi des Goths avait une fille, nommée Alvida, si chaste et si modeste, que, dès le berceau, elle portait un voile qu’elle tenait constamment baissé, afin que personne ne vît sa beauté et n’en devînt épris. Son père l’avait renfermée dans un château solitaire et lui avait donné à élever une vipère et un serpent, afin que ces reptiles dangereux, parvenus à leur croissance, défendissent l’honneur de sa fille. De plus, il porta une loi qui condamnait à avoir la tête tranchée quiconque essaierait de pénétrer jusqu’à elle. C’est ainsi que, par l’effroi des dangers et des supplices, il intimidait la hardiesse des jeunes gens. Mais Alf, fils de Sigur, roi de Danemark, pensant que plus il y avait de danger, plus il y aurait de gloire, déclara qu’il demandait la main d’Alvida. On lui ordonna de vaincre d’abord les animaux venimeux qui veillaient à la porte du château. Ce n’était qu’après les avoir vaincus qu’il devait obtenir la jeune fille. Alf, pour exciter encore davantage la colère de ces terribles gardiens, se couvrit le corps d’une peau sanglante ; puis il entra dans l’enceinte, et au moment où la vipère s’élançait sur lui, il plongea dans sa gueule béante un morceau de fer ardent qu’il tenait avec des tenailles. Ensuite il tua le serpent d’un coup de javelot. Alors il réclama le prix de sa victoire, mais le roi répondit qu’il ne pouvait prendre pour gendre que celui que sa fille aurait choisi.

C’était surtout la mère d’Alvida qui était opposée à son mariage. Elle se mit donc à persuader à sa fille de ne pas se marier. Elle lui faisait des reproches : ainsi, pour un jeune homme plus heureux encore que brave, elle allait renoncer à la gloire que lui avait acquise le renom de sa chasteté ; elle allait se laisser séduire après avoir si long-temps résisté ! Elle fit tant qu’Alvida finit par dédaigner le jeune prince danois et tous les hommes, et que, quittant ses habits de femme, elle s’habilla en guerrier, équipa un vaisseau, et de jeune fille timide et modeste, se fit pirate. Elle engagea plusieurs jeunes filles dans son entreprise, et, s’étant embarquée, elle arriva dans un endroit où une bande de pirates pleurait la mort de son chef.