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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

chir, les dangers auxquels elles sont exposées, soit de la part des hordes nomades, soit de la part des chefs barbares dont elles traversent le territoire, fassent jamais une concurrence bien redoutable aux beaux navires de la compagnie des Indes[1]. Si les Anglais voient avec tant de colère et de terreur les agrandissemens de la Russie, ce n’est pas qu’ils craignent beaucoup de voir le commerce de l’Asie changer de route ; mais l’Angleterre, encombrée de produits industriels, a besoin de débouchés, comme l’homme qui étouffe a besoin d’air, et elle en cherche partout. Elle a trouvé moyen, depuis quelques années, de vendre en Perse une assez grande quantité de marchandises, et les Russes, en poussant plus loin leurs frontières, lui enlèveraient ce marché, ce qui lui ferait grand mal sans profiter beaucoup à la Russie qui n’est pas dans les mêmes conditions. Un publiciste anglais, dont nous citerons les paroles, explique fort clairement de quoi il s’agit : « Nous devons faire attention, dit-il, en examinant une question quelconque de notre commerce avec l’étranger, que ce qui importe le plus au peuple de la Grande-Bretagne, ce n’est pas le profit du marchand, mais la quantité de la main-d’œuvre anglaise dont on peut disposer à un prix raisonnable, ou, en d’autres termes, la quantité de bras qui peuvent être employés et de bouches qui peuvent ainsi être nourries en Angleterre. Le profit du marchand n’est qu’une considération secondaire ; mais là où il est considérable, nous pouvons sans doute être sûrs que la consommation augmentera aussi proportionnellement. L’objet principal, c’est de procurer à nos classes ouvrières un travail suffisant. Les droits restrictifs, dans les pays étrangers, en élevant le prix payé par le consommateur, nuisent bien plus à l’Angleterre par l’abaissement de la consommation que par le tort qu’ils font à nos marchands : les classes laborieuses de notre population sont donc le plus intéressées au maintien, en Asie, d’un système commercial libre de toutes restrictions, et il est du devoir du gouvernement d’empêcher que ce système n’y soit remplacé par le système le plus restrictif de l’Europe[2]. »

L’écrivain que nous venons de citer, dans le but d’effrayer ses lecteurs sur les progrès de la Russie en Orient, fait remarquer que tout ce qu’elle a acquis depuis 1772 surpasse en étendue son empire entier

  1. Un grand bâtiment marchand anglais porte vingt-quatre mille quintaux ; il a cinquante à soixante hommes d’équipage. Il faudrait une caravane de quatre mille chameaux et de quatre cents conducteurs, outre l’escorte, pour transporter la cargaison d’un seul navire de la compagnie des Indes. Qu’on calcule la différence des frais entre ces deux manières de faire arriver en Europe les productions de l’Asie méridionale.
  2. Progrès et position actuelle de la Russie en Orient, pag. 175.