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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

les revers escarpés du défilé et se dispersaient dans les ravins à droite d’Himri. Dans les deux tours en pierre, dont nous avons parlé, étaient restés quelques assiégés qui se trouvèrent entourés de tous côtés et dans l’impossibilité de s’enfuir. Ils refusèrent de se rendre et ne cessèrent pas de tirer sur les Russes, qui, irrités de cette résistance opiniâtre, emportèrent les deux tours d’assaut, et passèrent à la baïonnette tous ceux qui s’y trouvaient. Khasi-Moullah fut au nombre des morts, ainsi que ses principaux disciples et partisans. Leurs corps, percés de coups, restèrent entre les mains des vainqueurs, et furent reconnus le lendemain par les montagnards. La nuit mit fin au combat, et l’avant-garde resta campée entre les retranchemens et le village. Le 18 octobre, dans la matinée, elle entra dans Himri. Ainsi se termina cette brillante expédition où périt l’Abd-el-Kader du Caucase. Couvert de blessures, il tomba sur les rochers, murmura sa dernière prière, tenant sa barbe dans sa main, et rendit l’ame. C’était un homme de moyenne taille, plutôt laid que beau, marqué de la petite-vérole ; ses yeux gris étaient étincelans ; il parlait peu, mais son langage était très expressif ; il écrivait et priait beaucoup. La plupart du temps, il ne prenait pas une part active aux combats, se contentant d’exhorter et d’encourager ses partisans ; ni jour, ni nuit, il ne se laissait approcher de personne. Quand quelqu’un venait dans sa chambre, deux gardes tenaient leurs fusils braqués sur le visiteur ; d’autres avaient le sabre à la main, prêts à le couper en morceaux, au moindre signe du chef. La renommée de Khasi-Moullah était très grande dans les montagnes ; on ne parlait que de lui dans les bazars des villages ; les femmes le chantaient en berçant leurs nourrissons ou faisaient peur de lui aux enfans indociles. Avec lui tomba l’espérance de ses partisans qui se dispersèrent de tous côtés et n’essayèrent plus de soulèvement.

Nous terminerons ici notre analyse, non sans quelque crainte d’avoir abusé de la patience de nos lecteurs en dépouillant trop consciencieusement peut-être l’énorme masse de documens un peu confus que nous avions sous les yeux. Aux faits que nous avons exposés, nous joindrons quelques réflexions suggérées par les études que nous venons de faire.

En prenant pour guide l’ouvrage de M. Eichwald, nous n’avons pas perdu de vue que cet écrivain est fonctionnaire public russe, et que, par conséquent, il a dû souvent adoucir ou passer sous silence bien des choses défavorables à la Russie. Toutefois, la comparaison de ses récits avec ceux des autres voyageurs nous porte à croire que