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DU THÉÂTRE CHINOIS.

La différence des deux théâtres et des deux peuples se fait sentir dans la partie accessoire. L’intrigue de l’Aulularia roule sur un de ces incidens si fréquens dans les mœurs de la scène gréco-latine. Un jeune homme outrage la fille de l’avare et répare ses torts en l’épousant. La pièce chinoise repose sur le sentiment qui faisait le fond d’un Héritier dans la vieillesse, le besoin de la paternité. Le premier usage que fait l’avare de sa fortune, c’est d’acheter un fils ; il tâche, il est vrai, de se le procurer à aussi bon compte que possible, et la lésinerie qu’il apporte dans ce singulier marché produit des développemens d’un comique tout-à-fait chinois. Il escamote à de pauvres parens leur fils par un contrat captieux, et les renvoie très mal payés de leur coupable sacrifice. Nous verrons, du reste, une autre vente d’enfant dans un des drames traduits par M. Bazin.

Cela me conduit à la publication la plus récente et la plus considérable de toutes celles qui ont contribué à nous faire connaître la littérature dramatique de la Chine, au Théâtre chinois de M. Bazin. Il se compose, comme je l’ai dit, de quatre pièces choisies dans des genres différens.

Je commencerai par la Tunique confrontée. Un riche particulier, sa femme et son fils, sont tranquillement assis dans leur demeure, occupés à boire du vin chaud, en faisant des vers et de l’esprit sur la neige qui tombe à flocons pressés. Le père est saisi de cet enthousiasme poétique qu’inspirent aux Chinois presque tous les accidens de la nature, et qui leur dicte les métaphores hardies et souvent bizarres de leur poésie journalière. Dans son transport, il croit être au printemps, et chante : « S’il en était autrement, comment les feuilles de poirier tomberaient-elles feuille à feuille, comment les fleurs de saule voleraient-elles en tourbillon ? Les fleurs de poirier s’entassent et forment un sol argenté ; les feuilles de saule s’élèvent au ciel comme une parure ondoyante, et retombent sur la terre, etc. »

C’est dans cette exaltation, produite à la fois par les fumées du vin et celles de la poésie, qu’un Chinois aisé passe de nombreux momens, les plus agréables de son existence.

Cette famille si paisible, si heureuse, recueille, pour son malheur, un inconnu nommé Tchin-hou, au moment où il allait périr de misère et de froid ; le fils de la maison le reconnaît pour son frère adoptif et le présente à sa femme. « Que cette femme est belle ! » murmure tout bas l’étranger ; et ces mots dévoilent tout à coup ses desseins perfides.

À quelque temps de là, cette charitable famille donne des se-