Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/766

Cette page a été validée par deux contributeurs.
762
REVUE DES DEUX MONDES.

gnés et qu’ils trouvent trop bons pour la circonstance. La mère, indignée, reprend à sa fille la clé, signe de la propriété, et la donne au neveu, enfin rentré en grace auprès d’elle.

La fille et le gendre se font pardonner leurs torts en rendant au vieillard sa jeune épouse et un enfant qui lui est né. Le bonhomme, enivré de joie, pardonne à tout le monde ; il est au comble du bonheur, il a un fils dans ses vieux jours.

Cette pièce est une véritable comédie de mœurs ; les Chinois ont aussi des comédies de caractère. Le sujet de l’avare, tant de fois traité, l’a été en Chine. M. Julien a fourni à M. Naudet les matériaux d’une analyse détaillée de la comédie intitulée l’Esclave des richesses qu’il garde, et le traducteur de Plaute a placé cette analyse à la suite de l’Aulularia[1]. La pièce chinoise offre plus d’un trait de ressemblance avec la comédie de Plaute, et aussi plus d’un contraste.

De même, c’est un dieu qui a mis l’avare en possession de son trésor. Il est ingénieux d’avoir placé un amour immodéré de la richesse chez un homme pour qui la richesse est chose nouvelle. Les exagérations bouffonnes de Plaute sont encore surpassées par l’auteur chinois. Presque mourant, l’avare dit à son fils adoptif : « Mon fils, je sens que ma fin approche. Dis-moi, dans quelle espèce de cercueil me mettras-tu ? — Si j’ai le malheur de perdre mon père, je lui achèterai le plus beau cercueil de sapin que je pourrai trouver. — Ne va pas faire cette folie, le bois de sapin coûte trop cher. Une fois qu’on est mort, on ne distingue plus le bois de sapin du bois de saule. N’y a-t-il pas, derrière la maison, une vieille auge d’écurie ? elle sera excellente pour me faire un cercueil. — Y pensez-vous ? Cette auge est plus large que longue ; jamais votre corps n’y pourra entrer ; vous êtes d’une trop grande taille. — Eh bien ! si l’auge est trop courte, rien n’est plus aisé que de raccourcir mon corps : prends une hache et coupe-le en deux. Tu mettras les deux moitiés l’une sur l’autre, et le tout entrera facilement. J’ai encore une chose importante à te recommander : ne va pas te servir de ma bonne hache pour me couper en deux ; tu emprunteras celle du voisin. »

Ce dernier trait ne manque point de vigueur. L’Harpagon chinois laisse, comme on voit, bien loin derrière lui le légataire de Regnard, disant :

Je puis être enterré fort bien pour un écu.
  1. Bibl. latine-française de Panckouke, théâtre de Plaute, tom. II, pag. 375.