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DU THÉÂTRE CHINOIS.

société chinoise, fondée tout entière elle-même sur la famille. Le besoin de se survivre à soi-même dans un fils est si sacré aux yeux des Chinois, que souvent on accorde à un homme condamné à mort un sursis pour qu’il ait le temps de s’assurer un héritier direct : on trouve que ce serait une trop grande peine de le priver non seulement de la vie, mais encore de la race ; ce serait le tuer deux fois, dans le présent et dans l’avenir. J’insiste sur l’énergie de ce sentiment, parce qu’il est le motif et la clé du drame que je vais analyser.

Le vieux Lieou-tsong a un neveu qui a perdu ses parens, et qui est venu se réfugier chez lui, mais il ne peut faire vivre en bonne intelligence ce neveu et sa première femme. Cela ne veut point dire, en Chine, une femme dont on est veuf, mais l’épouse du premier rang ; je l’appelle ainsi pour la distinguer de l’épouse plus jeune qui, par son état, donne au vieillard l’espoir d’être père. La terrible femme du bonhomme paraît, et dès la première scène est représenté, d’une manière vive et comique, l’empire qu’elle prend, par son humeur, sur un mari débonnaire. Celui-ci, pour éviter l’orage, invite le neveu à aller vivre dans une chaumière qu’il possède à la campagne ; mais madame en a besoin pour ses ânes, il y faut renoncer ; enfin, pour se débarrasser de son neveu, le vieillard ordonne qu’on lui compte deux cents pièces d’argent et qu’il aille où bon lui semblera. Toujours occupé de l’héritier qu’il espère, Lieou-tsong, que tourmentent quelques remords au sujet de certaines transactions commerciales, voulant détourner le courroux du ciel par un sacrifice expiatoire, brûle le livre où sont couchées les sommes qu’on lui doit ; puis il déclare qu’il veut partager son bien entre sa femme et son gendre, et se retirer à la campagne pour y attendre paisiblement le résultat des couches de sa jeune épouse Siao-mei.

Les recommandations qu’il adresse, en partant, à son autre femme, au sujet de celle-ci, sont d’un comique vrai. Sa prédilection et ses inquiétudes percent à travers l’indifférence et même la dureté qu’il affecte pour elle, le tout dans la peur de donner de l’ombrage à celle dont un mot le fait trembler.

LIEOU-TSONG.

J’ai un mot à vous dire, femme ; puis-je risquer de le dire ?

LA FEMME.

Parlez.

LIEOU-TSONG.

Oh ! j’attendrai bien impatiemment de vous une lettre de félici-