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mais on eut beaucoup de peine à lui procurer ce plaisir, parce qu’on ne pouvait trouver d’acteurs qui se rappelassent un ouvrage qui avait vingt ans de date[1]. Cela prouve que souvent les pièces de théâtre sont écrites pour le moment, et ne sont ni conservées ni probablement destinées à l’avenir.

Le bon Van-Braam fut très édifié des sentimens vertueux qui remplissent ce drame ; il admire particulièrement que, dans le dialogue, on n’interrompe jamais celui qui parle : coutume bien sage des Chinois, dit-il. On sent qu’elle lui va au cœur. Du reste, on ne peut s’étonner de la sympathie d’un Hollandais pour un Chinois, car rien ne ressemble plus à la Chine que la Hollande, avec ses canaux, ses maisons de diverses couleurs, et sa population industrielle et patiente, active et silencieuse. En traversant la Hollande, on a par momens devant les yeux des aspects auxquels on n’a jamais rien vu de semblable, si ce n’est sur un éventail ou sur un paravent.

Une autre pièce qui, comme celle-là, participe du drame bourgeois ; mais qui offre beaucoup plus d’intérêt, est celle que M. Davis a traduite sous ce titre : An heir in old age (un héritier dans la vieillesse).

Ici M. Davis a donné une moitié des vers, probablement d’après la version du licencié chinois, par lequel il se fait aider dans ses travaux ; mais, comme il a passé l’autre moitié de la portion poétique du drame, et que ce qu’il a omis n’est nullement inférieur à ce qu’il a traduit, il est permis de croire que la seule cause de cette omission a été l’impossibilité où s’est trouvé le licencié de comprendre certains passages versifiés. Il est glorieux pour nous que deux Français, M. Julien et M. Bazin, aient fait à Paris ce que n’a pu faire à Canton un lettré chinois.

Voici le sujet du drame.

Un vieux négociant retiré, nommé Lieou-tsong, vient d’épouser une jeune femme ; il espère qu’elle lui donnera bientôt un fils. Pour un Chinois, il est de la plus grande importance de ne pas mourir sans postérité, car tout le bonheur de sa vie future est attaché à ce que quelqu’un de son sang et de son nom vienne visiter son tombeau et offrir à ses mânes une espèce de sacrifice. Cette croyance donne aux sentimens de famille une grande force ; elle rattache étroitement l’existence d’une génération à celles qui la précèdent et à celles qui la suivent ; elle est une des bases les plus profondes de la

  1. Tom. II, pag. 345.