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vérité. D’ailleurs, je ne veux pas que tu t’exposes. Va, quitte-moi, Naam, mets ta tête à l’abri des dangers qui menacent la mienne. Il en est temps encore, fuis !

— Je ne te quitterai jamais, tu le sais bien, répondit tranquillement Naam.

— Quoi ! tu me suivrais même à la mort ! Songe que tu seras accusée aussi peut-être !

— Que m’importe ? dit Naam. Ai-je peur de la mort ?

— Mais résisterais-tu à la torture, Naam ? s’écria Soranzo frappé d’une nouvelle inquiétude.

— Tu crains que je succombe à la souffrance et que je t’accuse ? dit Naam d’un ton froid et sévère.

— Oh ! jamais ! s’écria-t-il avec une effusion forcée, toi le seul être qui m’ait compris, qui m’ait aimé et qui souffrirait pour moi mille morts !

— Tu dis qu’un coup de poignard est la seule ressource ? dit Naam en baissant la voix.

Orio ne répondit pas. Il ne savait à quoi se décider. Ce moyen le tentait et l’effrayait également. Il se perdit en projets plus inexécutables les uns que les autres, puis sa tête s’égara. Il tomba dans une sorte d’imbécillité. Naam le secoua sans pouvoir lui arracher une parole. Elle sentit que ses mains étaient raides et glacées. Elle crut qu’il allait mourir. Elle pensa que dans un moment d’égarement il avait avalé quelque poison et qu’il ne s’en souvenait plus. Elle fit appeler le médecin.

Barbolamo le trouva très mal et le tira de cette atonie par des excitans qui produisirent une réaction terrible. Orio eut de violentes convulsions. Le docteur, se rappelant alors que depuis long-temps il n’avait pas fait usage de narcotiques, et pensant que l’inefficacité de ces remèdes, causée autrefois par l’abus, pouvait avoir cessé, se hasarda à lui administrer une assez forte dose d’opium qui le calma sur-le-champ et l’endormit profondément. Quand il le vit mieux, il le quitta, car la soirée était fort avancée, et il avait encore des malades à voir avant de rentrer chez lui.

Naam veilla son maître avec anxiété pendant quelques instans, et s’étant assurée qu’il dormait bien, elle sentit retomber sur elle seule tout le poids de cette horrible situation ; c’était à elle de trouver un moyen d’en sortir. Elle se promena avec agitation dans la chambre, recommandant son ame à Dieu, sa vie au destin, et résolue à tout plutôt que de laisser périr celui qu’elle aimait. De temps en temps elle