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dialogue en prose. Il a en outre retraduit l’Orphelin de Tchao, en y joignant les passages en vers, supprimés par le père Prémare. Enfin, un de ses élèves les plus distingués, M. Bazin aîné, vient de publier un volume qui ne contient pas moins de quatre ouvrages dramatiques choisis dans des genres différens. On possède donc maintenant huit pièces chinoises, dont six exactement traduites, et l’on peut commencer à se faire une idée du théâtre de cette nation singulière, qu’on a coutume d’oublier dans les systèmes et les formules d’histoire universelle ; quantité qu’on peut négliger en effet, car il ne s’agit que de quarante siècles et de trois cents millions d’hommes ; exception sans importance, car ce n’est après tout que la moitié de l’humanité civilisée.

Le genre dramatique est particulièrement propre à faire connaître l’état moral et social d’un temps ou d’un peuple ; il échappe mieux que tout autre au principal inconvénient des littératures vieillies, aux caprices de l’individualité. Quand on compose une pièce de vers, on peut jusqu’à un certain point se soustraire à l’action de son siècle et peindre d’après sa fantaisie un monde imaginaire et parfois exceptionnel ; mais ce que beaucoup d’hommes réunis doivent voir ensemble est nécessairement accommodé à leur manière de sentir. L’auteur dramatique et le public sont en présence, en contact ; le second agit sur le premier, comme l’auditoire agit sur l’orateur. Aussi la littérature dramatique est-elle l’expression la plus fidèle des sociétés avancées, de même que l’épopée est celle des sociétés primitives. L’humanité, à son premier âge, se mire dans le paisible océan de la légende ; plus tard elle se réfléchit dans le torrent troublé du drame.

En attendant qu’on puisse librement visiter la Chine, un des meilleurs moyens de la connaître, c’est d’étudier son théâtre. Des ouvrages composés par les Chinois et pour eux ne peuvent nous tromper sur leur compte ; le portrait dans lequel ils se reconnaissent doit être ressemblant.

Un inconvénient et aussi un avantage du théâtre chinois, c’est d’être en dehors de la littérature classique ; de là résulte qu’il en est très rarement question dans les ouvrages historiques, si abondans en détails littéraires d’une autre nature. Tandis que des pages nombreuses sont consacrées au moindre commentaire des Kings, à peine fait-on une mention rapide des pièces de théâtre et des romans. Mais aussi ces compositions ont pour nous le mérite d’avoir échappé au moule d’uniformité pédantesque dans lequel a été jetée la portion la plus considérable de la littérature chinoise. Les doctes dédaignent