Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/739

Cette page a été validée par deux contributeurs.
735
REVUE. — CHRONIQUE.

ni au Mexique, ni à Buenos-Ayres, des craintes qui puissent la dispenser de recourir aux armes, pour en obtenir une justice trop long-temps refusée.

Vous ne me reprocherez pas, monsieur, d’avoir pris trop au sérieux une boutade de lord Strangford contre la France. Il est malheureusement impossible de se dissimuler que nos moindres mouvemens sur terre ou sur mer excitent partout en Europe un vague sentiment d’inquiétude et de jalousie qui paraîtra bien mal fondé, si l’on réfléchit à tout ce que ce pays a pu et n’a pas voulu faire depuis 1830. Le discours de lord Strangford, celui du duc de Wellington, le peu de mots qui concernent la France dans le discours de lord Lyndhurst, sont l’expression de ce sentiment. Et remarquez, je vous prie, qu’en même temps le commerce de ces villes où le maréchal Soult recevait naguère un accueil si enthousiaste, s’assemble pour exprimer ses alarmes sur les conséquences des mesures de blocus décrétées contre le Mexique et Buenos-Ayres. Le ministère anglais, placé dans une position très difficile, ne peut que reconnaître timidement notre droit, et c’est ce qu’il a fait par l’organe de lord Melbourne, en répondant à lord Strangford. Mais c’est à nous qu’il appartient de nous défendre, par le plus puissant de tous les moyens, par la presse et la publicité, et de proclamer hautement, ce qui est vrai, que la France rend un grand service à l’Europe entière, quand elle fait respecter le droit des gens européen par les nouveaux états de l’Amérique du sud, comme elle l’a fait en détruisant pour jamais la piraterie sur la Méditerranée.

Le duc de Wellington a très bien dit que, depuis la paix, l’Angleterre avait besoin de multiplier et d’étendre sans cesse davantage ses relations commerciales ; que c’était pour elle une nécessité du premier ordre, et qu’il lui fallait, sous peine de périr, non seulement conserver tous les anciens débouchés de son inépuisable industrie, mais en créer toujours de nouveaux. Il en a tiré cette conséquence que le gouvernement de son pays ne devait pas regarder d’un œil indifférent des collisions qui pouvaient, en peu de temps, faire subir des pertes considérables à sa marine marchande, retenir ses expéditions dans ses ports et ses produits fabriqués dans ses magasins. Je trouve cela fort sensé : mais, à moins que le duc de Wellington ne revendique pour l’Angleterre toute seule le commerce de l’Amérique du sud, il doit comprendre que nous aussi, nous y prenions à cœur les intérêts de notre industrie et la sécurité de nos nationaux. Quoique la France n’ait pas engagé dans ces contrées autant de capitaux que l’Angleterre, le commerce qu’elle y fait n’est cependant pas à mépriser, et lui donne le droit comme il lui impose le devoir d’y faire respecter les siens. Tous les Européens gagneront d’ailleurs au succès de sa cause particulière ; car généralement la haine s’attache en Amérique, par un déplorable préjugé, à l’étranger industrieux et actif qui vient s’y enrichir, grace à l’état d’enfance où les arts utiles et agréables y sont encore réduits ; comme si cet étranger ne rendait pas à l’habitant du pays, en comfortable, en élégance, en jouissances de luxe, l’argent qu’il gagne à la sueur de son front, loin de sa patrie, sous un climat quelquefois mortel !