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REVUE DES DEUX MONDES.

Sous quelque point de vue qu’on l’envisage, le système de crédit général auquel on a donné le nom d’Omnium correspond donc admirablement aux besoins présens de la société, et, quel que doive être le progrès futur dans l’ordre matériel, il en sera, nous le croyons, l’instrument principal, car il renferme en soi, comme toutes les grandes pensées, un principe de développement indéfini. Si ce développement, qu’il faudra des siècles pour opérer complètement, avait atteint sa dernière limite, la totalité des valeurs existantes sur la surface entière du globe, de quelque nature qu’elles fussent, pourvu qu’elles constituassent une propriété réelle de l’homme, rendues mobiles, seraient faites monnaie ; et la monnaie qui les représenterait sous la forme d’un papier de circulation ne pourrait jamais dépasser la quotité de ces mêmes valeurs qui lui serviraient d’hypothèque. Au-delà de ce terme, il est impossible de rien imaginer en matière de crédit ; car le crédit réel a pour borne celle des valeurs quelconques actuellement existantes.

Mais cette borne atteinte, qu’arriverait-il ? Une des plus profondes révolutions sociales qu’on puisse concevoir ; car, sans que l’on se fût le moins du monde proposé ce but originairement, par le seul résultat d’un progrès qu’aucune puissance ne saurait arrêter, le système entier de la propriété changerait radicalement. Lorsqu’en effet toutes les valeurs, devenues mobiles, auraient été mises en circulation, l’abondance des capitaux offerts au travail réduirait presque à rien le taux de l’intérêt : d’où il suivrait que personne ne pouvant subsister désormais dans la pure condition de capitaliste, chacun serait forcé pour vivre d’appliquer, d’une manière quelconque, son travail au capital dont il disposerait, pour en tirer ses moyens d’existence, et que la meilleure existence serait, en général, le prix de l’activité la plus intelligente et la mieux soutenue. Qu’on suive, de proche en proche, les conséquences d’une semblable transformation, on se convaincra que l’humanité s’avance, par une voie dont rien ne la peut détourner, vers des destinées toutes nouvelles, et qu’au sein du présent, si confus en apparence et si divisé, il se prépare une grande et magnifique unité future.

Quoi qu’il en soit, nous regardons l’établissement de l’Omnium comme un bienfait actuel, un immense bienfait pour tous indistinctement, pauvres et riches ; car le pauvre y trouvera des moyens chaque jour plus faciles de sortir de sa pauvreté, et le riche des moyens d’augmenter sa richesse.


F. de La Mennais.