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quentes et aussi rapides avec les Antilles, avec les États-Unis, notre premier allié commercial.

Je ne voudrais pas terminer ces observations par une réflexion pénible, et cependant il semble que Dieu, tout en marquant chaque œuvre humaine du cachet de sa puissance bienfaitrice, ait voulu que le genre humain payât de son labeur et de son sang chacun de ses progrès. Si belle enfin que soit une œuvre, lorsqu’elle est à son début, il y a toujours place en elle pour une certaine somme de mal.

On éprouve quelque embarras à exalter la puissance de la vapeur, au lendemain des explosions de la Moselle et de l’Oronoko. Qui oserait nier que la navigation mécanique soit un bienfait pour tous les peuples, au profit desquels elle tend sans cesse à généraliser les bienfaits d’une civilisation jusqu’ici concentrée sur quelques points du globe ?… Néanmoins, il faut le reconnaître, l’emploi de la vapeur, comme puissance locomotrice, présente encore des dangers. Pratiquement, elle est de date très récente ; elle appelle des perfectionnemens au moyen desquels la science des Watt et des Fulton ne soit plus un jour, parmi les hommes, qu’un instrument de création et de progrès.

Force incalculable, on dirait presque surhumaine, la vapeur semble prendre plaisir à montrer à l’homme qu’elle n’est qu’à demi asservie. Long-temps elle se laisse manier, docile et obéissante ; et puis, tout à coup, dans un caprice sauvage, elle rejette son joug de fer, elle éclate et foudroie. Ses ravages alors sont à sa taille : c’est par centaines qu’elle immole ses victimes, et il n’est si forte paroi de fer qui puisse l’enserrer.

C’est ainsi qu’il a fallu que la gloire pacifique du Great-Western lui-même fut un instant couverte d’un voile de deuil. Voici ce que disaient les journaux anglais en annonçant son heureuse traversée :

« Nous sommes affligés d’avoir à relater ici un fait lamentable, touchant M. Pearne, l’ingénieur en chef du Great Western. C’était le jour même de l’arrivée du navire ; M. Pearne était occupé à surveiller la machine, lorsque l’un des conduits ayant soudainement crevé, laissa échapper une bouffée de vapeur dont il fut tellement brûlé que peu de jours après il expira dans de grandes souffrances. M. Pearne était un homme riche et considéré, qui, ayant été chargé de la construction de la machine, en avait voulu avoir la surveillance, à titre de volontaire, durant la traversée. »

Triste vérification de cette parole : Tu n’enfanteras que dans la douleur !


Ph. Chemin-Dupontès.