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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

descendait le prisonnier par une échelle ou avec une corde, de façon à ce qu’une fois la corde et l’échelle retirées, il fût impossible d’en sortir.

Ces châteaux, mais surtout ces cachots, ont été le théâtre de tragiques aventures, que les insulaires vous racontent avec le tour d’esprit poétique qui leur est propre. À les en croire, chacune de ces prisons souterraines aurait été le théâtre de scènes plus lamentables et plus sinistres que les plombs et le fameux pont des soupirs à Venise. Ces récits rempliraient des volumes. Voici l’un de ceux qui nous a paru faire à la fois le mieux connaître les mœurs sauvages des anciens habitans de ces îles et présenter le plus d’intérêt.

Le lord Mac-Donald des îles, n’ayant pas eu d’enfans mâles, avait déclaré son héritier Hugh Mac-Donald, son neveu. Ce jeune homme, se voyant si près du pouvoir suprême, ne put résister à la tentation d’en jouir sur-le-champ. Il résolut donc de se défaire de son oncle, qui ne succombait pas assez vite, à son gré, sous le poids de l’âge et des infirmités. À force de séductions et de promesses, Hugh Mac-Donald parvint à faire entrer, dans un complot contre la vie du vieillard, plusieurs seigneurs du voisinage. Comme ceux-ci ne se fiaient pas aux seules promesses de ce neveu dénaturé, ils lui firent signer le traité de partage des dépouilles du lord, et apposèrent eux-mêmes leurs signatures au bas de cette pièce qui fut remise entre les mains du laird de Mac-Leod, le plus considérable d’entre eux. Le jour fut fixé pour l’exécution du complot, et tous les conjurés se tinrent prêts à agir au signal que leur chef devait leur donner.

Il arriva sur ces entrefaites que Mac-Leod, ayant vendu des bestiaux à un marchand de l’île de Skye, reçut en paiement de ces bestiaux un billet qu’il serra dans la même cachette que le traité. À quelque temps de là, le marchand, venant acquitter sa dette, redemanda son billet, et Mac-Leod qui, comme la plupart des seigneurs écossais de ce temps, ne savait pas lire, au lieu de ce billet, remit au marchand le traité signé par les conjurés. Le marchand, après avoir pris connaissance de cet écrit, estimant qu’il lui serait plus profitable que son billet, le serra soigneusement et le porta sur-le-champ au lord des îles, qui ne manqua pas, en effet, de lui donner une bonne récompense. La colère du vieux lord, quand il eut acquis cette irrécusable preuve de l’ingratitude de son neveu, fut portée au comble ; mais il fit un noble effort sur lui-même pour la surmonter, et, maître d’un premier mouvement, il résolut de se venger de la seule façon qui fût digne de lui. Il recommanda le secret au marchand, et il invita à un grand repas qu’il donnait à ses vassaux Hugh Mac-Donald et ses complices. Ceux-ci s’étant rendus à son invitation, il eut soin de placer à table chacun d’eux entre des hommes sur la fidélité desquels il pouvait compter. Le repas se passa comme tous les festins de l’époque, c’est-à-dire qu’on couvrit la table d’énormes quartiers de bœufs, de daims ou de cerfs, et d’une infinité d’oiseaux de terre et de mer rôtis et de poissons bouillis ou grillés. À la fin du repas, on servit les vins, toujours abondans dans ces îles, qui font leurs vendanges pendant les tempêtes, quand un navire d’Espagne ou de France vient se briser sur leurs côtes inhospita-