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DE L’AMÉRIQUE DU SUD.

à une époque déjà éloignée ; cela suffit pour attester la longanimité et la modération de la France, modération qui, au reste, ne s’est jamais démentie à l’égard d’aucune des nouvelles républiques, et qui ne peut être comparée qu’à notre parfait désintéressement dans tous nos rapports avec elles. Mais, en politique, ce n’est pas assez d’être modéré, même quand on est fort ; il faut encore que la modération serve à quelque chose : et à quoi nous a servi la nôtre, soit au Mexique, soit à Buenos-Ayres, par exemple ? On serait tenté de croire que, loin de nous concilier le respect ou la bienveillance des gouvernemens, elle les a plutôt encouragés dans leur résistance à nos plus justes réclamations ; ils semblent avoir calculé notre éloignement, nos embarras intérieurs, les complications qui pouvaient naître à chaque instant pour nous de la question d’Orient et de la conquête d’Alger ; en un mot, ils ont douté, non pas de notre force, non pas de notre puissance, non pas de l’existence de nos escadres, mais de notre disposition à les mettre en mouvement contre eux pour obtenir justice, et, en conséquence, ils ne nous l’ont pas rendue. Cependant les personnages les mieux placés pour en juger avaient déclaré de bonne heure que l’emploi de la force serait indispensable, que, sans un acte de vigueur, on n’obtiendrait rien, et que plus on tarderait à prendre cette résolution, plus le Mexique s’obstinerait à croire qu’en définitive la France, occupée de bien plus grands intérêts, n’armerait pas pour si peu de chose. Le Mexique se trompait, il appréciait mal les motifs d’une si longue indulgence ; mais n’aurait-on pas gagné à faire, il y a trois ou quatre ans, ce qui se fait aujourd’hui, et le Mexique lui-même n’aurait-il pas gagné à recevoir plus tôt cette leçon ?

Nous croyons qu’il faut ménager la faiblesse des gouvernemens américains, leur tenir compte des révolutions qui les désarment et les appauvrissent, faire la part des circonstances, des préjugés nationaux, des vices des institutions. Nous ne voulons pas que la France, au moindre tort fait à quelqu’un de ses enfans, mette aussitôt l’épée à la main et se hâte de trancher le nœud que pourraient délier des négociations prudemment conduites. Non, ces procédés violens ne

    la restauration, sans arriver, que nous sachions, à l’état de projet bien arrêté. Cependant on en avait appris quelque chose en Amérique, et aussitôt il s’était formé dans les nouveaux gouvernemens des partis qui avaient embrassé cette espérance avec ardeur. Un grand nombre d’hommes recommandables y voyaient le salut de leur patrie, le terme de ses déchiremens, le lien qui devait la rattacher à l’Europe civilisée, et il n’y a pas encore bien long-temps que cette chimère (car c’en était une) a cessé de les occuper. Mais au moins ce fait prouve combien l’idée d’une haute direction de la part de la France leur paraissait naturelle et juste, dans les conditions respectives des deux pays.