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quelquefois donnent crédit à cette opinion ; on assure même qu’on a souvent déterré, sous les cairns, des urnes qui contenaient des pièces de monnaie ; ce qui pourrait faire supposer que, dans des temps fort reculés, les montagnards de Mull avaient adopté l’usage romain de brûler les corps morts, à moins que ces cairns ne soient aussi des tombeaux romains[1].

Le soleil était déjà haut, quand nous arrivâmes à l’endroit où notre barque était à l’ancre. Nos bateliers, en nous attendant, faisaient la chasse aux oiseaux de mer, mais surtout aux gannets qui couvraient par myriades tous les rochers de la côte. Leur nombre était si grand, que, de loin, les rocs bruns et noirs sur lesquels leurs bandes se posaient, semblaient couverts de marbrures blanches. C’était le moment de la ponte ; nous voyions, au sommet d’écueils inaccessibles, les femelles occupées à couver leurs œufs avec un calme qui témoignait de leurs habitudes indolentes. Nos bateliers nous racontèrent qu’elles ne se dérangeaient même pas pour aller chercher leur nourriture ; les mâles allaient à la pêche et leur rapportaient leur proie, qu’elles recevaient d’un air nonchalant, et que cependant elles avalaient d’une seule bouchée. Cette paresse des couveuses contraste singulièrement avec l’activité des femelles occupées à faire leur nid. Les matériaux qui servent à les construire sont peu abondans sur cette côte dépouillée de bois et de grands végétaux, de sorte que, pour ramasser quelques rameaux de bruyères ou un peu de chaume, elles sont souvent obligées d’entreprendre des excursions de plusieurs milles. La nécessité de faire de si longs voyages a rendu ces oiseaux industrieux, mais industrieux jusqu’à la dépravation ; je veux dire qu’ils se volent entre eux et avec une singulière adresse. Ainsi, tandis que ses compagnons sont éloignés, l’un de ces oiseaux prend sans façon un rameau dans le nid du voisin, et, pour qu’on ne le soupçonne pas du vol, par une sorte de calcul qui laisserait croire que l’idée de la propriété n’est pas étrangère à ces animaux, le voleur, au lieu de déposer sur-le-champ ce rameau dans son nid, va faire une petite course en mer, et attend d’ordinaire que l’oie volée soit de retour au rocher pour revenir aussi de sa promenade, ce qu’il fait de la manière du monde la plus naturelle, jouant l’innocence à s’y tromper, et rapportant dans son bec d’un air affairé sa plume ou son rameau, comme s’il l’avait été chercher fort loin. Habituellement la ruse réussit ; mais les voleurs moins habiles qui portent immédiatement à leur nid ce qu’ils viennent de prendre, s’exposent à de terribles querelles à la suite desquelles le volé reprend son bien.

Ces oiseaux sont d’une gloutonnerie extraordinaire, et c’est par leur faible que nos bateliers les prenaient. Ils attachaient un poisson sur une plaque de métal ou sur une planche grise imitant la couleur de l’eau et qu’ils posaient à terre sur la plage. À peine s’étaient-ils éloignés que les gannets, apercevant

  1. Dans la Bretagne, ces éminences artificielles composées de pierres amoncelées s’appellent galgals.