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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

Au point du jour, je fus brusquement réveillé par un coq qui saluait l’aurore tout près de mon oreille. La pièce que nous occupions était une succursale du poulailler. Je me levai au milieu de toute la volaille en rumeur, je poussai la porte d’osier, et je me retrouvai dans la chambre où nous avions soupé. Nos guides étaient déjà debout, l’un d’eux allumait les dalles de peat humide, entassées, au milieu de la pièce, sur une espèce d’autel d’un pied et demi de hauteur qu’on appelait la cheminée. La fumée qu’aucun tuyau n’emprisonnait et qu’aucun courant d’air ne chassait à l’extérieur, se répandait librement dans toute la chambre, dont les lambris étaient décorés d’un vernis noirâtre et luisant qu’on eût pu croire dérobé à un intérieur de Rembrandt ; et, si elle s’échappait en partie par un trou percé dans le toit, c’était tout-à-fait volontairement, on peut le dire. Il fallut nous enfuir tout en larmes de cette pièce que l’hôte décorait du nom de parloir, et où, sous peine d’être étouffé, on ne pouvait demeurer cinq minutes ; nous sortîmes pour respirer l’air frais du matin. C’est alors seulement que j’eus une idée bien nette de la maison de plaisance dans laquelle nous venions de dormir. Qu’on se figure une hutte d’une vingtaine de pieds de hauteur, dont les murs, obliquant dans tous les sens, étaient construits en cailloux bruts et en galet ; deux rangs de grosses dalles de gazon, liées entre elles du côté de l’ouest par de fortes chevilles de bois et des bruyères tissées en cordes, alternaient avec un rang de pierres, dont les interstices étaient remplis de vase. Le toit était formé de longues perches auxquelles étaient attachées de petites bottes de chaume et de bruyère ou des dalles de gazon au-dessus desquelles on avait posé, comme dans tous les pays de montagnes, quelques grosses pierres pour empêcher la maison de prendre son vol quand soufflent les vents de mer.

Une demi-douzaine de ces huttes de sauvages, avec les hangars qui en dépendent, forment un village hébridien ; c’était dans un hameau de ce genre que nous venions de passer la nuit. Comme ces maisons ont la couleur grise et rougeâtre de la bruyère, à moins qu’elles ne soient bâties sur un pic, on a peine à les distinguer du sol. Il faut les toucher pour les voir. Nous déjeunâmes avec des œufs, du thé et des confitures de groseilles noires, comme nous eussions pu le faire à Londres ou à Édimbourg, et nous quittâmes Bunessan pour nous rendre, à l’aide de nos poneys, à l’entrée d’une petite baie, où nous attendait un bateau de pêcheur avec qui, la veille au soir, nos guides avaient fait prix pour nous conduire à Iona.

Une chaîne de petites collines, couvertes de bruyères, nous séparait de la mer. Au haut de ces collines, on apercevait de temps à autre de petites pyramides en pierres, pareilles à ces constructions qu’on appelle cairns dans les Highlands, ou des pierres dressées semblables aux peulvent et aux menhir de la Bretagne. C’est le tombeau d’un Mac-Lean, c’est le tombeau d’un Campbell, c’est le tombeau d’un Mac-Dougal, nous disaient nos guides avec emphase. À les entendre, tous ceux qui reposent sous ces tas de pierres étaient de grands guerriers ; des débris d’armes et des ossemens qu’on y a trouvés