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choisir, j’aime mieux la maxime : L’insurrection est quelquefois le plus saint des devoirs, que celle-ci : La résistance n’est jamais permise. Je suis peu touché, très médiocrement édifié des malédictions que certaines gens ont toujours à la bouche contre l’irréligion de Voltaire, quand je reconnais que ce qu’ils nomment la religion, c’est l’établissement politique du clergé avant la révolution de 1789, l’intolérance et la suprématie orgueilleuse et tyrannique d’un culte sur les autres. Si je regrette une aristocratie, ce n’est certainement pas celle dont la révolution a fait justice. En un mot, l’envie que j’aurais de condamner sans ménagement des écrivains et des philosophes qui n’ont pas su se préserver de la corruption commune, tombe quand je vois que l’arrêt qu’on demande contre eux est un arrêt de réhabilitation pour tous les abus que leur voix vengeresse a fait écrouler.

Je ferai donc avec M. Villemain, dans le jugement définitif que je veux porter sur les écrivains du XVIIIe siècle, la part du temps, et je la ferai la plus grosse possible. Quand nous ne serions pas tout-à-fait équitables pour la société et pour le gouvernement de Louis XV, il n’y aurait pas grand mal à cela. Belles duchesses de Versailles, marquises et comtesses qui faisiez et défaisiez les ministres dans l’alcove du roi, voilà les vers galans que Voltaire adressait à votre pudeur sans craindre de l’effaroucher ; reprenez-les, ils sont bien à vous. Comme nous pouvons être libres penseurs sans nous faire pardonner la hardiesse de notre esprit par le dévergondage de nos mœurs, nous laisserons dans les boudoirs du XVIIIe siècle les romans de Crébillon le fils et ceux de Diderot. Nous croirons en Dieu, s’il vous plaît, parce qu’il n’y a plus de Sorbonne dont les décisions orthodoxes soient soutenues d’un arrêt du parlement ou d’une lettre de cachet. Le matérialisme et l’athéisme ne se montrent plus à nous entourés de cette espèce de faveur qu’ils avaient surprise par un air d’opposition et de liberté ; il n’en reste qu’une odieuse doctrine dont la corruption et l’égoïsme sont la fin. Si le doute règne encore dans un grand nombre d’esprits, il n’y a plus heureusement de haine dans les cœurs contre le christianisme, parce qu’on ne persécute plus personne au nom de l’Évangile. Nous ne trouvons pas plus de goût au cynisme de l’impiété qu’au cynisme de l’immoralité ; et, pleins de reconnaissance pour les grands génies qui nous ont enrichis de tant de vérités utiles et dont l’éloquence fera l’admiration de tous les siècles, nous les plaignons de n’avoir pas su être aussi hauts de cœur qu’ils l’étaient d’esprit.

Les erreurs de la philosophie du XVIIIe siècle ont eu pourtant une autre cause encore que la corruption des mœurs et la licence géné-