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toutes les jouissances, une charmante surprise par ce goût de pure littérature qu’on y respire. M. Villemain a une passion vraie, naïve, chose rare aujourd’hui ! et cette passion, c’est l’amour des lettres ! Elle se répand comme une douce chaleur sur tout ce qu’il écrit ; elle est son inspiration, son ame. On éprouve, en le lisant, quelque chose du plaisir qu’il ressent lui-même à orner ses idées de la lumière d’un beau langage, à achever avec amour une phrase spirituelle et fine. On se réjouit presque d’avoir trouvé avec lui une expression si ingénieuse, un tour si heureux, un mot si éclatant et si juste. Qui a la mémoire plus éloquente que M. Villemain ? et cette éloquence de la mémoire, d’où vient-elle, si ce n’est de la sensibilité d’une ame que le beau touche profondément ? qui sait mieux que lui l’art de faire trouver une saveur toute nouvelle dans les morceaux qu’il cite ou plutôt qu’il détache de son propre fonds où le goût les a gravés ? Qui a comme lui la puissance de rajeunir les impressions les plus émoussées, par la jeunesse et la fraîcheur de ses impressions personnelles ? En écoutant les leçons de M. Villemain (car ces leçons écrites ont encore toute la chaleur et tout le naturel des leçons improvisées), on croit lire, pour la première fois, et lire avec lui, Buffon et Montesquieu, Fontenelle et Voltaire, Diderot et Jean-Jacques ; on découvre avec ravissement des vers de Lucrèce, de Virgile, de Térence, de Racine, qu’on savait par cœur ; on voudrait être débarrassé de tout pour n’avoir plus qu’à vivre, dans le coin le plus obscur et le plus solitaire du monde, avec cette famille de poètes et de penseurs, l’honneur du genre humain !

Quelle est l’ame sensible aux lettres qui n’ait pas fait ce rêve d’une vie toute plongée dans l’étude et dans la lecture ? qui ne s’est figuré, avec délices, une petite retraite bien sûre, bien modeste, où il n’aurait plus à s’occuper que du beau et du vrai en eux-mêmes, où il ne verrait plus les hommes et leurs passions, les affaires et leurs ennuis, l’histoire et ses terribles agitations, qu’à travers ce rayon de pure lumière que le génie des grands écrivains répand sur tout ce qu’il représente ? Quelles charmantes matinées que celles qu’on passerait, par un beau soleil, dans une allée bien sombre, au milieu de ce bruit des champs, immense, confus, et pourtant si harmonieux et si doux, à relire tantôt une tragédie de Racine, tantôt l’histoire des origines du monde, racontées par Bossuet avec une grace si majestueuse ! quel plaisir de ne se sentir pas tiré, au milieu de ces charmantes études, par l’affaire qui vous rappelle à la maison, de ne pas porter au fond de l’ame l’idée importune de l’en-