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DE L’AMÉRIQUE DU SUD.

tablissement de l’indépendance ; tant que la lutte avait duré, tant qu’il y avait eu des dangers à craindre du côté de l’Espagne, l’Amérique, menacée par une puissance européenne, s’était préoccupée des dispositions des autres ; elle avait recherché leur secours, ou du moins leur appui moral ; elle avait souvent invoqué en sa faveur leur opinion et leur sympathie. Quand le danger fut passé, l’Europe sembla lui devenir indifférente : elle crut que l’Europe avait plus besoin d’elle qu’elle n’avait besoin de l’Europe, et elle en tira rigoureusement cette conséquence que l’Europe lui permettrait à peu près tout, fermerait les yeux sur ses plus révoltantes injustices, lui passerait ses prétentions les plus hardies, et lui laisserait introduire dans ses rapports avec les nations civilisées un droit, ou une absence de droit, qui n’existe nulle part.

On sait qu’avant 1808 toutes les possessions espagnoles, en Amérique, étaient pour ainsi dire inaccessibles aux étrangers. Les côtes du Pérou, du Chili, du Mexique, ne connaissaient guère d’autres Européens, non Espagnols, que les corsaires ou les marins anglais qui les avaient souvent inquiétées et pillées, qui avaient désolé et brûlé les plus beaux établissemens de cet immense littoral et occupé des points fort importans pour sa défense. Aussi le nom anglais y était-il exécré ; c’est celui sous lequel l’ignorance du peuple confondait dans une haine fanatique tous les hérétiques et tous les étrangers. Pendant la guerre de l’indépendance, cette haine aveugle de l’étranger sommeilla dans l’esprit du peuple, comme l’indifférence ou l’éloignement systématique pour l’Europe avaient fait place à d’autres sentimens chez les hommes d’état plus ou moins éclairés qui dirigeaient l’enfance des nouvelles républiques. Mais elle se réveilla aussi après la victoire, quand les populations virent établies au milieu d’elles des colonies industrieuses d’étrangers actifs, entreprenans, habiles, qui ne venaient pas seulement faire fortune dans le pays, qui l’enrichissaient, y apportaient les arts et les besoins de l’Europe, y créaient de nouvelles ressources, y appliquaient de nouveaux procédés à l’exploitation des mines, en un mot poussaient le pays dans toutes les voies d’amélioration et de progrès ; car tel est, malgré de tristes et inévitables exceptions, le caractère général du mouvement imprimé par les étrangers dans l’Amérique du sud, des établissemens qu’ils y ont créés, de l’action qu’ils y exercent[1]. Malheureu-

  1. Le Brésil, auquel cet article se rapporte beaucoup moins qu’à l’Amérique espagnole, est plus juste envers les étrangers. On y a senti combien leur présence, leurs capitaux et leur activité y pouvaient être utiles, et on cherche à les y attirer. Toutefois les mesures ne