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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

casiennes, voulut le forcer de reconnaître la suzeraineté de l’empereur, comme substitué aux anciens droits des rois géorgiens sur le Ghendjé. Sur son refus d’admettre cette prétention, Tsitsianof l’assiégea dans Ghendjé, et la place se rendit après un assaut dans lequel le khan fut tué. La ville ayant été prise le jour de Sainte-Élisabeth, fête de l’impératrice, on changea son nom en celui d’Élisabethopol. Elle a une population mi-partie de Tartares et d’Arméniens et possède un beau bazar assez bien approvisionné. Ses habitans la quittent dans les mois d’été pour échapper à l’insupportable chaleur qui y règne et se retirent dans la montagne. La province de Ghendjé, comme les provinces avoisinantes, produit du coton, de la soie, du riz, de la garance. Le gouvernement y possède une mine d’alun dont le fermier lui paie à peu près 40,000 francs par an. À peu de distance d’Élisabethopol se trouvent les ruines de Chamkor, au milieu desquelles s’élève une colonne de cent quatre-vingts pieds de haut dont il est déjà fait mention dans les auteurs arabes du XIVe siècle. Tous ces pays furent autrefois riches, peuplés, florissans, mais leur situation entre la Géorgie et la Perse leur a été funeste. Les révolutions, les guerres, les fléaux de toute espèce auxquels ces deux royaumes ont été en proie dans les derniers siècles, sont venus fondre sur eux et y ont à peine laissé quelques traces de leur ancienne prospérité.

Après avoir traversé les contrées dont nous venons de donner une description succincte, M. Eichwald arriva à Tiflis, capitale de la Géorgie, la ville la plus importante des provinces caucasiennes. Tiflis est, pour ainsi dire, une création d’Yermolof ; il l’avait trouvée ruinée, inhabitable l’été, ne renfermant guère que des décombres et de misérables huttes souterraines appelées sakhli par les Géorgiens. Il y fit bâtir des édifices publics, des bazars, des maisons en pierre ; établit une belle place là où était un marais infect, en un mot fit de Tiflis une ville à l’aspect européen et civilisé. Comme on a beaucoup écrit sur Tiflis et sur la Géorgie[1], nous serons sobres de détails, surtout en ce qui concerne la description des lieux, les mœurs, les costumes, etc. Nous préférons emprunter à M. Eichwald quelques notions historiques moins répandues et qui peuvent donner une idée de ce que sont les révolutions en Asie.

La Géorgie, que les Russes appellent Grousia par corruption du nom turc Gourdji, se nommait autrefois Ibérie. Son premier roi fut

  1. Voyez surtout les ouvrages de Klaproth et le Voyage dans la Russie méridionale de M. Gamba.