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quoiqu’on les appelle communément Persans. Les vrais Persans du Ghilan, du Mazenderan, etc., les appellent Daghestaniens, ainsi que les habitans de Derbend, de Kouba, etc. On parle à Bakou un dialecte tartare qui se rapproche beaucoup du turc, quoique mêlé de beaucoup de mots étrangers. Il y a en outre, dans cette ville et dans le Chirvan, un patois persan qu’on désigne par le nom de lat. Les gens de distinction parlent le dialecte tartare, les lettrés le pur persan dont on fait usage à Ispahan. Le lat est regardé comme un jargon grossier, abandonné aux femmes qui ont peu d’occasions de parler le tartare avec les hommes.

Les Persans de Bakou ont le goût du commerce : dès qu’ils ont mis quelque argent de côté, ils lèvent une boutique, petite et étroite la plupart du temps, et contenant à peine pour quelques roubles de marchandises. « Mais, dit M. Eichwald, ils connaissent fort bien leurs intérêts, attrapent particulièrement les Russes et amassent promptement un petit avoir. Les oisifs se rassemblent au bazar où l’on bavarde toute la journée. On trouve peu de ces gens qui sachent lire et écrire. Ils prennent alors le nom de moulhahs ou de mirzas : ceux-ci doivent surtout avoir une belle écriture ; les autres forment une espèce de clergé assez pauvre qui gagne sa vie en lisant le Koran dans les mosquées et aux enterremens. »

Au commencement du printemps de 1826, M. Eichwald alla visiter les pêcheries de Sallian à l’embouchure du Kour, qui est l’ancien Cyrus. Sallian était autrefois beaucoup plus près de la mer, mais le dernier khan du Chirvan, voulant rapprocher cette ville de Chamakhi, sa capitale, l’avait fait détruire et avait forcé les habitans à s’établir six lieues plus près. C’est ainsi que l’on administre en Orient. La pêche du Volga, qui produit une si énorme quantité de poissons, est encore surpassée par celle du Kour. Quand le temps est favorable, on prend dans ce dernier fleuve de dix à vingt mille poissons par jour. En 1826, cette pêche était affermée par le gouvernement, pour 210,000 francs, à un négociant indou fort riche, établi à Astrakan ; mais les dépenses sont si énormes et les débouchés si éloignés et d’un si difficile accès, que le fermier était en perte. Le Kour sert de limite à la province de Chirvan ; de l’autre côté de ce fleuve se trouve la steppe de Moghan, plaine marécageuse, habitée l’hiver seulement par des Turcomans nomades. Au-delà est la province de Talich, la plus méridionale de la Russie, après laquelle commence le Ghilan.

À la fin de mars, M. Eichwald quitta Bakou pour se rendre à Tiflis. Ce voyage, qui était dangereux à une autre époque, a cessé de l’être.