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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L'ASIE OCCIDENTALE.

sens. L’île de Tcheleken est tout-à-fait stérile, mais elle produit de la naphte et du sel que de petites embarcations persanes viennent prendre et qui sont d’un assez bon rapport. Les Turcomans qui habitent cette île exerçaient autrefois la piraterie : montés sur leurs petits bateaux qu’ils manœuvrent avec une adresse incroyable, ils allaient souvent piller la côte de Perse ; mais leur chef avait su leur persuader de mener une vie plus régulière et de se borner aux profits que leur procure la vente de la naphte et du sel. Ce commerce pourrait être très avantageux, mais les Turcomans sont paresseux, insoucians et n’aiment pas à se donner de la peine ; aussi n’en tirent-ils pas un fort grand parti. M. Eichwald fait remarquer que ces pauvres gens pourraient être fort utiles à la Russie dans le cas d’une expédition contre Khiva ou sur la côte orientale. Mais peut-être les choses ont-elles beaucoup changé à Tcheleken depuis son voyage, car il paraît que les tribus turcomanes qui se soumettent aux Russes deviennent odieuses aux autres tribus et qu’elles ont tout à redouter de leur part.

La côte méridionale de la mer Caspienne appartient aux provinces persanes d’Astrabad, de Mazenderan et de Ghilan, appelées par les anciens Hyrcanie et pays des Mardes. La partie orientale de ces provinces fut le berceau de l’empire des Parthes ; la partie occidentale dépendait de la Médie, point de départ des conquêtes de Cyrus : on se trouve donc là au milieu des plus grands souvenirs de l’antique Asie. M. Eichwald voulait visiter le littoral de tous ces pays, mais sa corvette ne put entrer dans le golfe d’Astrabad, faute de profondeur suffisante, et il eût été fort imprudent à lui de s’aventurer, loin du bâtiment et hors de portée de tout secours, sur un rivage peuplé de Turcomans célèbres par leurs rapines. Il se rabattit donc à regret sur le Mazenderan, où il débarqua à l’embouchure de la rivière Boboul. Ce n’était plus le triste aspect de la côte de Tartarie, ses sables, ses rochers, sa maigre végétation : c’était une terre aussi fertile que pittoresque. On voyait partout les plus beaux ombrages, des citroniers, des grenadiers mêlés aux aulnes et aux érables, surtout des vignes en énorme quantité : la plupart des ceps étaient de la grosseur de la cuisse, et leurs branches s’étendaient d’un arbre à l’autre, formant des labyrinthes où l’on ne pouvait passer qu’avec peine. Les jardins sont pleins de melons, de pastèques, de concombres ; on voit aussi sur les bords du fleuve des cotonniers et des plantations de cannes à sucre. Comme il arrive souvent, ce beau pays a des habitans très pauvres par suite de leur paresse. La terre est d’une fertilité merveilleuse, mais elle n’est presque jamais labourée ; il suffit de