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il est très vraisemblable que la Russie a des vues de ce côté, et que, tôt ou tard, elle prendra pied en Boukharie. Un semblable établissement ne serait pas sans importance, car la Boukharie est limitrophe du Thibet et du Cachemire. Les Boukhares, peuple éminemment actif et intelligent, sont les courtiers de la Haute-Asie, comme les Arméniens ceux de l’Asie occidentale, et tout le commerce de ces contrées passe par leurs mains.

M. Eichwald ne visita que deux points de la côte orientale de la mer Caspienne, Tuk-Karagan et le golfe du Balkhan. Tuk-Karagan est le point de cette côte le plus rapproché d’Astrakan. Les négocians de cette ville y envoient des marchandises à échanger contre celles qu’apporte la caravane de Khiva ; mais ce commerce ne se fait pas assez facilement pour être bien considérable. Il est fort entravé, sur mer, par des pirates turcomans, et, sur terre, par des brigands kirghis. « Toute la côte de Tuk-Karagan, dit M. Eichwald, est habitée par des Turcomans qui sont à quelques égards dans la dépendance du khan de Khiva. Les habitans de Khiva n’y restent que pour les besoins de leur commerce ; quand ils ont échangé leurs marchandises contre celles d’Astrakan, ils s’en retournent chez eux. On trouve en plus grand nombre sur cette côte des Kirghis-Khasaks, peuple nomade, pillard et indiscipliné. Ces Kirghis se disent sujets russes ou du moins reconnaissent la suzeraineté de la Russie, ce qui ne les empêche pas de piller, quand ils le peuvent, les caravanes russes qui vont à Khiva ou à Boukhara. Le khan ne le tolère pas, mais la steppe est si grande que les voleurs trouvent aisément à s’échapper. Aussi le commerce d’Orenbourg ou d’Astrakan avec Khiva se fait difficilement, et les marchands russes y trouvent rarement de grands profits. Pour mettre un terme à ces brigandages, il n’y aurait pas d’autre moyen que d’établir des forteresses chez ces peuplades, de manière à exercer sur elles le même pouvoir que dans la steppe des kalmouks. Alors il serait facile de trouver et de châtier les pillards, et surtout les caravanes pourraient passer sans danger. »

La baie de Tuk-Karagan offre le meilleur havre de la mer Caspienne : c’est ce qui l’a fait choisir comme point de rencontre par les marchands d’Astrakan et ceux de la Boukharie. Les marchandises sont portées à Khiva à dos de chameau : il faut près d’un mois pour faire ce voyage. La tradition rapporte qu’il existait autrefois des villes florissantes sur cette côte ; on n’y voit plus que quelques ruines et des camps tartares. Les Kirghis et les Turcomans, habitans de ce pays, sont toujours en guerre. Lors du voyage de M. Eichwald, les Turco-