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REVUE. — CHRONIQUE.

égyptienne continuera, n’en doutez point, à se grossir en Syrie ; les fortifications du Taurus s’achèveront ; l’escadre sera augmentée ; tous les ressorts seront tendus ; le vice-roi et son fils resteront l’arme au bras. La Porte, de son côté, enverra dans le Diarbekir ses premières levées ; elle appliquera ses dernières ressources à l’entretien d’un état militaire qui l’épuise ; elle se débattra obscurément entre l’influence de la Russie et celle de la France unie à l’Angleterre ; elle continuera d’offrir à l’Europe le triste spectacle de ces changemens ministériels trop fréquens de nos jours, pour qu’ils n’accusent pas et beaucoup d’inconstance chez le souverain, et des intrigues étrangères fort actives, et une perturbation profonde dans l’état. Je n’ose aller plus loin, ni vous dire ce que je pense d’une situation aussi tendue, malgré les miracles que le désir général de maintenir la paix a produits en Europe depuis la révolution de juillet.

S’il y a des questions qui s’ajournent, il y en a aussi dont la solution ne comporte guère de retards, et qui, une fois soulevées, demandent à être terminées promptement. L’affaire de Suisse est de ce genre, et vous étiez bien informé, monsieur, quand vous faisiez pressentir que le séjour et les nouvelles intrigues de M. Louis Bonaparte au château d’Arenenberg allaient attirer de nouveaux embarras à la confédération helvétique. Je n’examine pas ici le caractère de cette démarche dans ses rapports avec la politique intérieure du gouvernement français, mais uniquement sous le point de vue diplomatique, et, ainsi envisagée, je ne saurais assez m’étonner des critiques dont elle a été l’objet. M. Louis Bonaparte est, dit-on, citoyen de Thurgovie ; mais la France ne sait pas ce que c’est que le canton de Thurgovie ; elle n’a point d’ambassadeur à Frauenfeld, et n’en reçoit pas du petit conseil de Thurgovie. La France ne connaît en Suisse que la Suisse, et ne traite qu’avec la Suisse, représentée par le directoire fédéral et la diète. Peu importe ensuite le degré, la mesure de souveraineté dont le canton de Thurgovie reste en possession. Les gouvernemens étrangers n’ont pas affaire à vingt-deux souverainetés, en Suisse, mais à une seule, dont l’affaire est de s’entendre avec toutes les autres, et d’en subordonner la politique particulière aux intérêts généraux de la confédération. Je ne sais d’ailleurs si vous avez remarqué combien, dans ces derniers temps, la souveraineté cantonnale a été peu ménagée par le parti même qui conteste le plus vivement à la France le droit de réclamer l’expulsion de M. Louis Bonaparte. Mais il y a plus, c’est que personne en Suisse ne prend au sérieux la qualité de citoyen de Thurgovie, derrière laquelle se retranche le neveu de Napoléon, et que ses partisans font si bruyamment valoir en sa faveur. Dans la diète et hors de la diète, on n’a certainement pas épargné les sarcasmes à ce bizarre citoyen, comme l’appelle le Fédéral de Genève, à ce républicain de faux aloi, dont la position est trop équivoque pour que les radicaux suisses eux-mêmes osent en faire leur drapeau. Et, en vérité, c’est se jouer de la conscience et de la raison publique que de prendre feu pour une pareille fiction, pour des droits prétendus que tout le monde met si bien à leur juste valeur. Il faut du reste que la diète y