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choir, et elle, d’un grand sang-froid, le faisait descendre davantage sur ses yeux, pour ne pas le voir. Le comte lui mit la corde au cou ; mais comme elle n’allait pas bien, le comte la lui ôta et s’éloigna de quelques pas, la duchesse l’entendant marcher, s’ôta le mouchoir de dessus les yeux, et dit : « Eh bien donc ! que faisons-nous ? » Le comte répondit : « La corde n’allait pas bien, je vais en prendre une autre pour ne pas vous faire souffrir. »

« Disant ces paroles, il sortit ; peu après il rentra dans la chambre avec une autre corde, il lui arrangea de nouveau le mouchoir sur les yeux, il lui remit la corde au cou, et faisant pénétrer la baguette dans le nœud, il la fit tourner et l’étrangla. La chose se passa, de la part de la duchesse, absolument sur le ton d’une conversation ordinaire. »

Le frère Antoine de Salazar, autre capucin, termine sa déposition par ces paroles :

« Je voulais me retirer du pavillon par scrupule de conscience, pour ne pas la voir mourir, mais la duchesse me dit : — Ne t’éloigne pas d’ici, pour l’amour de Dieu (ici le moine raconte les circonstances de la mort, absolument comme nous venons de les rapporter), il ajoute : Elle mourut comme une bonne chrétienne, répétant souvent : Je crois, je crois. »

Les deux moines, qui apparemment avaient obtenu de leurs supérieurs l’autorisation nécessaire, répètent dans leurs dépositions que la duchesse a toujours protesté de son innocence parfaite, dans tous ses entretiens avec eux, dans toutes ses confessions, et particulièrement dans celle qui précéda la messe où elle reçut la sainte communion. Si elle était coupable, par ce trait d’orgueil elle se précipitait en enfer.

Dans la confrontation du frère Antoine de Pavie, capucin, avec D. Léonard del Cardine, le frère dit : « Mon compagnon dit au comte qu’il serait bien d’attendre que la duchesse accouchât ; elle est grosse de six mois, ajouta-t-il, il ne faut pas perdre l’ame du pauvre petit malheureux qu’elle porte dans son sein, il faut pouvoir le baptiser. À quoi le comte d’Aliffe répondit :

« Vous savez que je dois aller à Rome, et je ne veux pas y paraître avec ce masque sur le visage (avec cet affront non vengé). »

À peine la duchesse fut-elle morte, que les deux capucins insistèrent pour qu’on l’ouvrît sans retard, afin de pouvoir donner le baptême à l’enfant ; mais le comte et D. Léonard n’écoutèrent pas leurs prières.

Le lendemain, la duchesse fut enterrée dans l’église du lieu, avec