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grand prix, deux ou trois mois auparavant, il fit dire que ce jeune homme avait tenté de l’empoisonner. Mais le véritable crime était trop bien connu, et le cardinal, son frère, lui fit demander quand il songerait à laver dans le sang des coupables l’affront qu’on avait osé faire à leur famille.

Le duc s’adjoignit le comte d’Aliffe, frère de sa femme, et Antoine Torando, ami de la maison. Tous trois, formant comme une sorte de tribunal, mirent en jugement Marcel Capecce, accusé d’adultère avec la duchesse.

L’instabilité des choses humaines voulut que le pape Pie IV, qui succéda à Paul VI, appartînt à la faction d’Espagne. Il n’avait rien à refuser au roi Philippe II, qui exigea de lui la mort du cardinal et du duc de Palliano. Les deux frères furent accusés devant les tribunaux du pays, et les minutes du procès qu’ils eurent à subir nous apprennent toutes les circonstances de la mort de Marcel Capecce.

Un des nombreux témoins entendus dépose en ces termes :

« Nous étions à Soriano ; le duc, mon maître, eut un long entretien avec le comte d’Aliffe… Le soir, fort tard, on descendit dans un cellier au rez-de-chaussée, où le duc avait fait préparer les cordes nécessaires pour donner la question au coupable. Là se trouvaient le duc, le comte d’Aliffe, le seigneur Antoine Torando et moi. »

Le premier témoin appelé fut le capitaine Camille Grifone, ami intime et confident de Capecce. Le duc lui parla ainsi :

« Dis la vérité, mon ami. Que sais-tu de ce que Marcel a fait dans la chambre de la duchesse ? » — « Je ne sais rien ; depuis plus de vingt jours je suis brouillé avec Marcel. »

Comme il s’obstinait à ne rien dire de plus, le seigneur duc appela du dehors quelques-uns de ses gardes. Grifone fut lié à la corde par le podestat de Soriano. Les gardes tirèrent les cordes, et par ce moyen enlevèrent le coupable à quatre doigts de terre. Après que le capitaine eut été ainsi suspendu un bon quart d’heure, il dit : « Descendez-moi, je vais dire ce que je sais. » Quand on l’eut remis à terre, les gardes s’éloignèrent, et nous restâmes seuls avec lui. « Il est vrai que plusieurs fois j’ai accompagné Marcel jusqu’à la chambre de la duchesse, dit le capitaine ; mais je ne sais rien de plus, parce que je l’attendais dans une cour voisine jusque vers les une heure du matin. »

Aussitôt on rappela les gardes qui, sur l’ordre du duc, l’élevèrent de nouveau, de façon que ses pieds ne touchaient pas la terre. Bientôt le capitaine s’écria : « Descendez-moi ; je veux dire la vérité. Il est vrai, continua-t-il, que depuis plusieurs mois je me suis aperçu que