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elles pas fondées sur le respect infini que tout homme digne de ce nom doit avoir pour les mouvemens de son ame ? Bien loin d’exclure l’énergie, elles l’exagéraient, tandis que la première maxime des fats qui imitaient le duc de Richelieu vers 1760, était de ne sembler émus de rien. La maxime des dandies anglais, que l’on copie maintenant à Naples de préférence aux fats français, n’est-elle pas de sembler ennuyé de tout, supérieur à tout ?

Ainsi la passion italienne ne se trouve plus depuis un siècle dans la bonne compagnie de ce pays-là.

Pour me faire quelque idée de cette passion italienne, dont nos romanciers parlent avec tant d’assurance, j’ai été obligé d’interroger l’histoire, et encore la grande histoire faite par des gens à talent et souvent trop majestueuse, ne dit presque rien de ces détails. Elle ne daigne tenir note des folies qu’autant qu’elles sont faites par des rois ou des princes. J’ai eu recours à l’histoire particulière de chaque ville ; mais j’ai été effrayé par l’abondance des matériaux. Telle petite ville vous présente fièrement son histoire en trois ou quatre volumes in-4o imprimés, et sept ou huit volumes manuscrits ; ceux-ci, presque indéchiffrables, jonchés d’abréviations, donnant aux lettres une forme singulière, et dans les momens les plus intéressans remplis de façons de parler en usage dans le pays, mais inintelligibles vingt lieues plus loin. Car dans toute cette belle Italie, où l’amour a semé tant d’évènemens tragiques, trois villes seulement, Florence, Sienne et Rome, parlent à peu près comme elles écrivent ; partout ailleurs la langue écrite est à cent lieues de la langue parlée.

Ce qu’on appelle la passion italienne, c’est-à-dire la passion qui cherche à se satisfaire, et non pas à donner au voisin une idée magnifique de notre individu, commence à la renaissance de la société, au XIIe siècle, et s’éteint du moins dans la bonne compagnie vers l’an 1734. À cette époque les Bourbons viennent régner à Naples dans la personne de don Carlos, fils d’une Farnèse, mariée, en secondes noces, à Philippe V, ce triste petit-fils de Louis XIV, si intrépide au milieu des boulets, si ennuyé, et si passionné pour la musique. On sait que pendant vingt-quatre ans le sublime castrat Farinelli lui chanta tous les jours trois airs favoris, toujours les mêmes.

Un esprit philosophique peut trouver curieux les détails d’une passion sentie à Rome ou à Naples, mais j’avouerai que rien ne me semble plus absurde que ces romans qui donnent des noms italiens à leurs personnages. Ne sommes-nous pas convenus que les passions varient toutes les fois qu’on s’avance de cent lieues vers le nord ?