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Parmi les libres de couleur, à la Guyane française, quelques-uns jouissent d’une assez grande fortune ; mais la plupart vivent du produit de leur industrie ou de leur travail. Leur instruction est médiocre, mais ils recherchent l’occasion de s’éclairer ; quant à leurs mœurs, elles offrent, depuis quelques années, une amélioration sensible, et on cite un certain nombre de familles de couleur qui se distinguent par une vie tout-à-fait régulière, dont s’honoreraient des familles blanches.

Il y avait, en 1836, sur une liste de 211 électeurs, 45 libres de couleur, et 13 de la même classe sur 120 éligibles. Du reste, deux libres de couleur ont été élus membres du conseil colonial de la Guyane (qui n’en compte que seize), par des arrondissemens électoraux composés, en majorité, d’électeurs blancs. Bien plus, les blancs, même dans les villes, commencent à épouser des femmes de couleur ; l’égalité devant la loi devient une vérité, elle passe dans les mœurs. Loin de Cayenne, et surtout dans les quartiers dont les habitans mènent la vie simple et primitive des peuples pasteurs, on ne distingue presque plus la classe blanche de celle des libres de couleur, et l’administration pense que le moment n’est pas loin où cette fusion s’opérera également dans toute la colonie.

En attendant, et pour concourir à ce but, il n’existe à la Guyane que deux établissemens d’instruction publique, un pour chaque sexe. Comme on le pense bien, les deux couleurs y sont admises, sans distinction, et depuis long-temps. Dans l’un, celui des garçons, on comptait, au 1er  janvier 1837, 123 élèves, dont 12 blancs et 111 libres de couleur ; dans l’autre, il y avait 129 filles, dont 33 de la population blanche, et 96 de couleur. Le mélange que nous réclamions dans les établissemens d’instruction des Antilles, établissemens qui sont encore, il est vrai, à fonder, n’est donc pas impossible.

La France a le plus grand intérêt à se consolider et à s’étendre dans la Guyane. Jusqu’à ce jour, si l’on compare le peu de points qu’elle y occupe avec le vaste territoire qui est de son domaine, on la croirait campée seulement sur le continent d’Amérique. Il n’en peut pas être ainsi ; on doit encore moins le laisser croire. Le Nouveau-Monde, dans sa partie méridionale surtout, se dégage à peine des liens de l’enfance, et l’Europe voudra long-temps encore prêter à ces nations chancelantes l’appui de ses conseils et de ses exemples, malgré elles peut-être. Il y a une Guyane hollandaise, une Guyane anglaise, il y avait naguère une Guyane portugaise, qui pourrait bien reprendre son nom un jour ou l’autre, et tout cela prouve combien les gouvernemens européens attachent d’importance à garder un pied sur la terre améri-