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coloniale. Et pourtant ces honnêtes instituteurs, que l’opinion poursuivait en France à la même époque, pour une cause toute contraire, se montraient dans les colonies ce qu’ils étaient dans la métropole ; en passant la ligne et doublant le cap, ils n’étaient pas devenus subitement des prodiges de science, ni des prédicateurs de théories anarchiques. Mais c’est qu’alors l’île Bourbon résistait aux plus innocentes innovations. Aujourd’hui, elle entrevoit la réforme et fait plus que s’y résigner ; elle vote des allocations pour l’enseignement primaire. Cela prouve qu’à toute idée nouvelle il y aura des résistances opiniâtres dans les colonies, mais qu’elles seront vaincues pacifiquement, si le gouvernement le veut. Tout est dans ce mot magique, vouloir !

À la Guyane française, dont nous avons maintenant à dire quelques mots, c’est une œuvre d’un autre genre qu’il s’agit d’accomplir. Là nous trouvons les races diverses mieux disposées à se fondre ensemble et à marcher, quoique toujours avec un peu de regret, vers la réforme sociale, qui rencontre tant de répugnances dans nos autres établissemens d’outre-mer. Mais ce fait une fois acquis à la civilisation qui commence, il faut songer à d’autres conquêtes ; et puisque le terrain de la Guyanne est bien près d’être déblayé des ruines du vieux régime colonial, il faut savoir tirer de ce terrain même, en de plus favorables circonstances, toutes les richesses qu’il peut donner ; il faut le livrer à une vaste et régulière exploitation qui lui a toujours manqué : on serait inexcusable de méconnaître tous les avantages naturels dont il peut se prévaloir, sa position topographique, son étendue qui n’est pas même encore limitée au midi, la fertilité de son sol vierge en grande partie ; enfin, la salubrité de son climat, n’en déplaise à toutes les préventions contraires, un peu vieilles aujourd’hui. La lutte doit commencer, dans cette région, entre l’homme et la nature, puisque chaque jour les inimitiés s’y éteignent de plus en plus entre l’homme et son semblable.

La population totale de la Guyane française, au 31 décembre 1836, s’élevait à 23,361 individus, dont 6,656 libres et 16,705 esclaves. Parmi les libres, les blancs ne comptaient que pour environ 1,100 : le reste était de couleur, et l’on y comprenait 1,440 affranchis de la fin de 1830 au 1er décembre 1837, parmi lesquels ne sont portés officiellement que 293 patronés ; on y comprenait également 514 noirs de traite, libérés en principe par la loi du 4 mars 1831, et réunis dans un établissement de colonisation, sur les bords de la Mana, pour y être préparés, par le travail et une bonne discipline morale, à la liberté dont ils doivent jouir définitivement en 1838.