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DE LA QUESTION COLONIALE.

Ce serait pourtant le meilleur mode d’affranchissement, selon nous, que celui dont les noirs se chargeraient, chacun pour son compte et par son travail ; ce mode ne serait point fécond au point de pouvoir d’être employé seul, mais il permettrait d’attendre et ferait provisoirement des affranchis capables de comprendre tous leurs nouveaux devoirs. Un noir qui aurait laborieusement acquis sa liberté n’en abuserait probablement pas pour s’abrutir, une fois libre, dans la paresse, la débauche et les rapines. Nous serions bien surpris si l’on nous prouvait qu’il y a beaucoup d’affranchissemens, émanés de cette source pure, qui aient mal réussi dans ces derniers temps, à la Guadeloupe.

Toutes les émancipations, en effet, n’ont pas été heureuses, nous le déclarons, et notre intention n’est pas de dissimuler ce que contiennent de grave, sous ce rapport, les documens de l’administration. Sur 1,627 individus affranchis à la Pointe-à-Pitre depuis 1832, on nous assure que 50 seulement, en 1836, vivaient de leur industrie ; 660 étaient à la charge de la ville ; 4 avaient un lit à l’hôpital, et 913 étaient errans dans la colonie. Il en était de même au chef-lieu de Marie-Galante. Des 185 affranchis qu’on y avait constatés, 85 seulement pourvoyaient à leur existence par leur industrie ; 80 étaient dans une véritable indigence ; la plupart étaient restés à la charge de leurs anciens maîtres ; quelques-uns même étaient secourus par des esclaves. Il faut dire toutefois qu’on ne daigne pas nous apprendre quelle était l’origine de ces affranchis, et dès-lors nous avons droit de supposer qu’un certain nombre d’entre eux se composait de patronés, habitués de longue date à une vie vagabonde ; ce qui ne préjuge rien contre le succès des affranchissemens futurs qui seront d’une nature toute différente.

Une observation déjà faite et qui se reproduit avec plus de force, pour la Guadeloupe et ses dépendances c’est que la longévité des esclaves l’emporte sur celle des libres, si l’on confond ceux-ci dans une seule classe. En 1835, sur 31,252 libres indistinctement, il y avait 579 hommes, 1,110 femmes, en tout 1,689 individus au-dessus de soixante ans ; et sur 96,322 esclaves, 2,522 hommes, 4,733 femmes, en tout 7,255 têtes. En d’autres termes, le nombre des esclaves au-dessus de soixante ans est entre le treizième et le quatorzième de cette population, tandis que le dix-huitième seulement de la population libre se trouve dans la même catégorie. Remarquons, aussi que, parmi les esclaves ayant dépassé l’âge de soixante ans, il y en avait 697 de quatre-vingts à cent ans, et 13 de cent ans et au-dessus.

Il va sans dire que la longévité des esclaves ne serait pas une raison