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de cette étrange société et la pénétrerait un jour tout entière. Dans tous les cas, le gouvernement a mauvaise grâce à gémir, dans ses statistiques, sur le peu de progrès de la fusion des couleurs, quand il n’a rien fait encore, pour cela, que des lois !

Nous terminerons ici ce que nous voulions dire sur la Martinique : ces renseignemens et ces chiffres suffisent pour le point de vue qui seul nous intéresse. Nous allons réunir, sur les autres colonies, un faisceau d’observations analogues, dans le même but, et avec plus de rapidité, car les réflexions qu’on vient de lire s’appliqueront d’elles-mêmes, sauf quelques nuances, à des faits de même nature signalés ailleurs.

À la Guadeloupe et dans ses dépendances, au 31 décembre 1835, la population totale s’élevait à 127,574 individus, dont 31,252 libres et 96,322 esclaves.

Le nombre des blancs entre pour 11 à 12,000 dans le chiffre de la population, et celui des personnes appartenant à l’ancienne classe de couleur, pour 19 à 20,000, y compris 8,637 individus qu’on est convenu officiellement, à ce qu’il paraît, de regarder comme affranchis depuis 1830, mais dont l’émancipation de fait, pour la plupart d’entre eux du moins, remonte plus haut, en réalité. On voudra bien ne pas oublier la distinction que nous avons faite, à propos des affranchissemens nouveaux constatés pour la Martinique. De la fin de 1830 au mois de mars 1833, à la Guadeloupe, nous trouvons, sans distinction de patronés et d’individus vraiment esclaves, 1,798 affranchis. De mars 1833 au 1er  janvier 1837, la liberté de droit a été garantie en forme à 4,035 patronés, déjà libres de fait, et l’émancipation de droit et de fait tout ensemble a été concédée à 2,804 esclaves.

Ici s’offre à nous, pour la Guadeloupe, un renseignement que nous regrettons, tout obscur qu’il soit dans son extrême concision, de n’avoir pas eu pour la Martinique. « On évalue, dit la statistique, à un dixième de ce nombre celui des affranchis qui se sont rachetés avec le consentement de leurs maîtres. » De quel dixième veut-on parler ? Et comment évaluer ce dixième ! Est-ce le dixième des individus vraiment affranchis, déduction faite des patronés ? Est-ce le dixième du chiffre total 8,637 ? Même en admettant cette dernière base pour le rapport de proportion, et nous en doutons beaucoup, cela ne donnerait encore que 800 esclaves environ qui auraient racheté leur corps à l’amiable ; d’après cela, tout le monde sent que la bonne volonté du maître est insuffisante pour encourager l’esclave à amasser un pécule de rachat.