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PROMÉTHÉE.

mens de son temps à l’Iphigénie et à l’Hippolyte couronné d’Euripide ? Racine, dans ces deux pièces, a conservé la forme et le vêtement, mais bien peu de l’ame du poète grec. J’en conviens ; mais les spectateurs et les lecteurs ne sont pas non plus des Athéniens. Shakspeare, dans Troïle et Cresside, Gœthe, dans son Iphigénie, n’ont pas été plus fidèles au génie antique. Pour revenir au mythe de Prométhée, tous les poètes modernes qui se sont emparés de ce sujet, Calderon, Gœthe, Falk, Shelley, ont apporté dans cette refonte les idées et les préoccupations contemporaines, sans avoir, à beaucoup près, pour agir ainsi, des motifs aussi élevés que M. Quinet. Dans le poème de celui-ci, l’alliance des deux croyances, païenne et chrétienne, constitue le sujet même et le but du poète : c’est précisément un Prométhée chrétien que M. Quinet a voulu faire. En mêlant les deux cultes, l’auteur a prétendu rapprocher dans l’art ce qui s’est réellement touché dans l’histoire. L’instinct poétique du moyen-âge, en sanctifiant Virgile et les Sibylles, avait déjà pressenti l’existence de quelques voix semi-chrétiennes, sœurs de Daniel et d’Isaïe, prophétisant le Christ, au sein de l’antiquité païenne. À ces précurseurs avoués et reconnus des idées évangéliques, M. Quinet a voulu joindre la grande figure de Prométhée : c’était son droit de poète ; l’orthodoxie n’a pas à s’en plaindre. Autre chose est la poésie, autre chose est le dogme. La poésie peut être religieuse, chrétienne même, sans être orthodoxe. L’enfer de Dante et le paradis de Milton n’étaient possibles qu’à la condition de changer, de transformer, d’agrandir, au moins dans le sens poétique, la plupart des vérités que l’église enseigne.

Mais si j’absous M. Quinet des deux principaux reproches qu’on lui a faits, je crois, en revanche, devoir lui adresser quelques objections d’un tout autre ordre.

Il y avait, sans doute, une immense difficulté à donner une physionomie chrétienne à un mythe aussi profondément païen que celui dont il a fait choix. Cependant, parmi le grand nombre de variantes que cette fable a subies dans l’antiquité, il s’en trouvait de plus ou moins compatibles avec un dénouement pris en dehors du polythéisme. La suprême habileté du poète aurait donc été de choisir, parmi les traditions relatives à Prométhée, celles qui pouvaient se prêter le plus aisément au rapprochement qu’il se proposait.

Deux opinions principales, d’époques diverses, ont eu cours chez les anciens, touchant Prométhée.

La première, celle qui de beaucoup est la plus ancienne, et qui a eu pour interprètes Hésiode et Eschyle, représente le fils de Japet