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de voyager dans l’intérieur, ce qui lui fut accordé fort gracieusement. Abd-el-Kader s’informa avec empressement des objets que le docteur recherchait dans ses courses, et lorsqu’il sut que c’était pour ramasser des herbes, des pierres, et recueillir quelques animaux, qu’il voulait entreprendre des courses fatigantes et dangereuses, il rit de bon cœur de ce qu’il appelait la folie des Européens, qui se donnent tant de mal pour si peu de chose.

Nous avions à lui faire une dernière demande ; mais celle-là fit bientôt disparaître l’enjouement dont nous venions d’être témoins, et nous nous aperçûmes que la physionomie de l’émir prenait une teinte de plus en plus sombre à mesure que le pétitionnaire développait sa requête. Voici de quoi il s’agissait.

Un jeune homme d’Alger avait disparu depuis peu de temps pour échapper à des embarras pécuniaires, et il était venu se réfugier auprès d’Abd-el-Kader. Il avait une connaissance fort remarquable de la langue arabe, une sorte de penchant le poussait vers le genre de vie des indigènes. Il demanda à se faire musulman, ce qui fut accepté avec ardeur par les vrais croyans qui l’avaient recueilli. On le circoncit et on lui donna le nom d’Omar. L’émir l’envoya ensuite à Tlemsen dans une zaouya ou école religieuse, afin qu’on l’instruisît dans la science divine du Koran. Mais ce jeune homme avait laissé à Alger un père que sa fuite réduisait au désespoir. Quand ce dernier eut connaissance du voyage que nous allions entreprendre, il chargea M. R., qui faisait partie de notre expédition, de prier Abd-el-Kader de lui renvoyer son fils ; et c’est précisément cette demande qui opéra en lui un changement si subit.

Mouhhal, mouhhal (impossible, impossible) ! s’écria impétueusement Abd-el-Kader dès qu’il comprit où l’orateur voulait en venir. Son agitation était visible, et il était à peine parvenu à la maîtriser, lorsque l’interprète achevait de rendre en arabe les paroles de M. R.

Enfin, après s’être recueilli quelques secondes, il répondit en ces termes, avec le débit saccadé qui lui est propre, et qui, dans cette circonstance, était plus marqué que jamais : « Omar est venu librement parmi nous ; ce n’est pas un enfant qui ignore la portée de ses actions : c’est un homme. Il nous a demandé l’hospitalité, nous la lui avons accordée ; il nous a demandé de faire de lui un musulman, et nous le lui avons accordé. En cela, nous avons agi selon notre cœur et selon la justice. Je suis fâché de l’affliction où vous dites que le père d’Omar est plongé, mais je ne puis faire ce qu’il demande sans manquer à ma religion. Voulez-vous que moi, musulman, je