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VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

qu’il n’y ait qu’à étendre la main pour les saisir ; et cependant il faut tout l’art et les filets du pêcheur si l’on veut parvenir à s’en rendre maître. Il en est ainsi des Arabes. » En effet, l’émir tint bon, et on voit qu’il ne s’en est pas trop mal trouvé.

Il n’est pas nécessaire d’être un physionomiste consommé pour s’apercevoir, à la première vue, que l’émir est un de ces fanatiques ambitieux, doués d’un esprit supérieur, qui doivent exercer une grande influence sur un peuple aussi profondément religieux que l’est le peuple arabe. Si cette première inspection n’était pas suffisante, il faudrait examiner cet homme aux prières prescrites par l’islamisme, agenouillé cinq fois par jour devant sa tente aux yeux de tous, baisant la terre avec ferveur, et frappant de son front la poussière ou la boue. Sur cette pâle figure, dans ce regard à la fois mélancolique et fier, on lit facilement que le désir de conquérir le royaume des cieux n’exclut pas la volonté de s’en former un dans ce monde. Dans les circonstances actuelles où les Arabes, tombés dans l’anarchie par la chute du pouvoir turc, demandent à grands cris à être gouvernés, un homme du caractère d’Abd-el-Kader a bien des chances de succès.

Quand on connaît les antécédens de l’émir et qu’on a bien compris le rapport qui existe entre lui et le peuple arabe qui l’appelle ou l’accepte, on peut apprécier facilement les récriminations contre la France, au sujet du traité, et pénétrer les motifs et le but de ces récriminations.

Abd-el-Kader s’est plaint à nous de ce que le gouvernement français ne lui avait pas livré toute la poudre et tous les fusils qui lui avaient été promis. Nous lui répondîmes que lui, de son côté, s’était opposé à ce que les Français achetassent des chevaux dans le pays. Sur sa réplique qu’il n’en avait pas assez pour le service de son armée, nous lui fîmes observer qu’on était en droit de lui faire la même réponse à propos de la poudre et des fusils, et qu’il ne donnait pas là une bonne raison.

Il s’est montré très irrité aussi de ce qu’on n’avait pas voulu accepter M. Garavini pour son oukil. Il prétend qu’en choisissant un chrétien pour le représenter, il avait cru faire plaisir à la France, et qu’en échange de ses bonnes intentions il reçoit un affront véritable.

En regard de ces prétendus griefs, la France serait en droit d’en opposer de véritables, tels que l’expédition contre les Nougha et la violation de territoire qu’elle a amenée. Nous pourrions nous plaindre aussi de ce qu’il s’efforce de faire croire à tous ceux qui l’entourent que Blida et Coléah lui appartiennent par le traité : c’est l’opinion gé-