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VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

l’émir s’était hâté de venir recueillir la succession d’Ahhmed ; et, comme les circonstances ne se sont pas trouvées telles qu’il l’avait imaginé, il s’est contenté de saisir la portion de territoire située à l’extrémité de la province, satisfait de s’être assuré la possession des Biban, de ces fameuses Portes de fer qu’il franchira le jour où il croira n’avoir plus besoin de nous ménager.

Il est évident que l’émir convoite ardemment Constantine ; malgré la dissimulation naturelle aux hommes de sa nation, il déguisait mal ce désir. « Que feront les Français de cette ville ? nous dit-il un jour. Ils y dépenseront beaucoup d’argent sans résultat ; car, dès le printemps prochain, ils y seront bloqués par Ahhmed, et il faudra des armées pour les ravitailler. Qu’ils me donnent Constantine, et je me charge de leur livrer Ahhmed au bout de quinze jours, »

Il est certain qu’il réaliserait cette dernière promesse ; mais il est douteux que cette réalisation fût avantageuse à la France au prix qu’y met l’émir.

Si l’on considère dans leur ensemble les effets de la longue campagne que l’émir continue dans ce moment, on trouve que le principal résultat est d’une nature toute financière. Non seulement il lève partout l’impôt, mais il exige que l’on solde l’arriéré des huit années de l’occupation française. Ces mesures fiscales ont grossi son trésor, ou, pour mieux dire, lui ont donné un trésor. Il y a quelque temps, il ne possédait pas beaucoup au-delà des 300,000 fr. qui sont encore déposés chez le juif Ben-Dran, à Alger ; cette somme s’est considérablement accrue et il dispose maintenant de ressources pécuniaires très importantes.

On a vu plus haut quelle violation manifeste du traité a été commise par Abd-el-Kader ; on aura peine à croire, après cela, que les plaintes et les récriminations partent de son côté. C’est pourtant ce qui arrive, et ce chef, qui foule aux pieds les engagemens les plus positifs, ne cesse de déplorer notre manque de foi. Ses beys et les autres dignitaires, comme autant d’échos, répètent ses doléances ; et, à les entendre tous, on serait tenté de croire que l’émir et les Arabes sont de véritables victimes de notre duplicité.

Mais, avant de formuler ces plaintes, il n’est pas sans utilité de rappeler les antécédens de l’émir et de donner une idée de son caractère, tel qu’il se révèle presque immédiatement par ses paroles et par ses actes.

Le 3 mai 1832, quelques centaines d’Arabes, conduits par un marabout de Mascara, par Si-Mahhi-el-Din (celui qui vivifie la reli-