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sée, nous cheminions à travers la Mitidja dans la compagnie de M. Garavini, consul d’Amérique, qu’Abd-el-Kader avait récemment désigné pour son oukil ou chargé d’affaires. Le gouvernement français, en refusant de ratifier ce choix, avait ôté tout caractère politique à M. Garavini ; mais ce dernier avait conservé avec l’émir des rapports commerciaux qui motivaient son voyage dans l’intérieur. Quant aux autres Européens que l’on remarquait dans la caravane, la curiosité seule leur avait fait entreprendre cette course.

Notre première étape ne fut pas longue : nous nous arrêtâmes, vers le milieu de la plaine, dans l’Outhan de Khachna, à Hhaouche-el-Kaïd (la ferme du kaïd). Il n’était qu’une heure de l’après-midi, et nous désirions profiter de ce qui restait de jour pour aller un peu plus loin. Nos guides ne le voulurent pas, parce que nous aurions alors été dans la nécessité de coucher chez les Zouetna (habitans des bords de l’Oued-Zeitoun, rivière des oliviers). Or, Abd-el-Kader voulait faire payer à cette puissante tribu huit années d’impôts arriérés, sans préjudice d’une contribution extraordinaire de 200,000 francs. Cette dernière somme était une sorte d’amende qu’il leur infligeait pour les punir d’avoir plus d’une fois proposé leurs services au gouvernement français. Quand nos cavaliers nous eurent mis au courant de ces détails, nous fûmes tout-à-fait de leur avis, et le moment ne nous parut pas, en effet, très opportun pour aller demander l’hospitalité chez les Zouetna, au nom d’un chef qui avait la prétention de puiser aussi largement dans leurs bourses.

Notre caravane coucha donc à Hhaouche-el-Kaïd, où le chef de la tribu de Khachna nous fit un excellent accueil.

Le lendemain, nous nous dirigeâmes sur le Souq-el-Kh’misse, que les Européens appellent le Marché de l’Hamise. La traduction littérale serait plutôt Marché du jeudi ou du cinquième jour[1]. Il est situé sur la rive droite de l’Hamise (rivière à laquelle il a donné son nom), au pied du mont Ammal, dans une gorge assez étendue et d’un aspect très agréable. C’est là que chaque jeudi les Kabaïles du Petit-Atlas, les Arabes de la Mitidja, et même plusieurs des colons établis dans la plaine, viennent vendre leurs produits ou acheter ceux de leurs voisins.

Nous laissâmes ce marché sur notre droite, et, après avoir cheminé quelque temps dans les collines qui ondulent au pied du Petit-Atlas,

  1. Les Arabes désignent les jours de la semaine par leur ordre numérique, excepté le vendredi, qu’ils appellent el djema, l’assemblée, parce que c’est le jour où ils se réunissent à la mosquée.