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VOYAGE
AU
CAMP D’ABD-EL-KADER.

Une caravane, composée de sept Européens, trois Maures et deux juifs, quittait Alger le 28 décembre 1837 et se dirigeait vers le mont Jurjura, guidée par quatre cavaliers d’Abd-el-Kader. Pour atteindre le but du voyage, il fallait traverser les premières crêtes du Petit-Atlas et parcourir un pays habité par des Kabaïles dont la férocité est proverbiale. Les périls dont on supposait généralement que cette excursion devait être accompagnée, avaient empêché plusieurs curieux de tenter l’aventure, et les prédictions sinistres ne manquèrent pas aux imprudens qui persistaient à partir, sans se laisser intimider par l’épouvantail de la foi punique. On ne se contenta pas de menacer ces téméraires d’une fâcheuse catastrophe, on inventa la catastrophe elle-même. Après leur départ, on raconta solennellement dans tout Alger qu’arrêtés sur la route, ils avaient été pillés, battus, décapités ; et ce récit fut accompagné de détails très minutieux, parmi lesquels on n’avait pas oublié les dernières paroles prononcées par les victimes. Dans le moment même où l’on mettait en circulation cette tragique histoire, nous étions arrivés sains et saufs au but de notre voyage, et nous mangions fort paisiblement le couscoussou de notre hôte Abd-el-Kader. Au lieu d’être volés, nous recevions chacun une mule en cadeau ; et, loin d’être battus, nous voyions bâtonner journellement quelques-uns des Arabes que la curiosité attirait devant notre tente.

Pendant que nos historiographes officieux commençaient à broyer les couleurs sombres dont ils se proposaient de rembrunir notre odys-