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le dis avec amertume, il n’y a plus de 11 octobre, il n’y a plus de doctrinaires, il n’y a plus de Guizot ni de Thiers au monde, il ne reste que l’opinion démocratique, dominatrice de l’un, séductrice de l’autre, ameutant toutes les forces révolutionnaires contre une prérogative royale amoindrie par la révision de la charte, et tolérée par une chambre élective qui lui permet d’exister en fait, pourvu qu’elle n’existe pas officiellement en droit. »

Il est dans la nature de M. Fonfrède d’aller toujours trop loin. Heureusement, nous pouvons le rassurer. Nous lui dirons donc que les doctrinaires existent encore, et nous lui prédisons qu’il les reverra tels qu’ils étaient. À l’heure qu’il est, le parti, profondément découragé de l’orage que lui a attiré sa conversion subite aux principes de l’extrême gauche, fait de mûres réflexions ; il voit clairement qu’il n’y a rien à retirer pour lui dans ces idées, et l’on sait quelle puissance ont les intérêts de ce parti sur ses principes. Les idées de conservation lui reviendront aussi vite qu’elles l’avaient quitté.

Aujourd’hui, le plan du parti est de porter M. Thiers et ses amis au pouvoir. On renonce même à y entrer avec lui. M. Thiers, retiré sur le bord du lac de Côme, va recevoir quelques-uns de ses amis politiques, qui n’ont pas la patience d’attendre la convocation de la chambre. Les doctrinaires se rendent aussi à cette réunion. Leur empressement autour de M. Thiers, et le désir qu’ils ont de le voir au ministère, redoublent, nous dit-on, par l’effet des réflexions qu’ils ont été à même de faire à Paris, dans les derniers jours de la session. M. Fonfrède l’a très bien dit, à l’heure qu’il est, il n’y a pas de parti doctrinaire, il s’est effacé par sa réunion à la gauche, et c’était là cependant sa seule ressource sous un ministère qui maintient l’ordre, et qui se montre tolérant sans rien céder aux factions. Le parti sent qu’il ne pourra revivre que sous un ministère qui accordera davantage aux passions de la gauche, et qui s’aventurera plus au dehors que celui-ci ; or, nous le disons avec regret, c’est là ce que les doctrinaires espèrent du ministère de M. Thiers. De la vivacité de son esprit, ils concluent de la vivacité de ses passions, et ils espèrent qu’en peu de temps, sous M. Thiers, la question d’Orient, la question d’Espagne et la question intérieure, auront pris une telle gravité, que M. Guizot et ses amis deviendront nécessaires. Il est tels adversaires dont les critiques sont plus flatteuses et plus obligeantes que les adulations et les empressemens de semblables amis. M. Thiers le sait bien, et sans doute il ne s’y trompera pas. Si les doctrinaires disposaient du pouvoir, l’homme d’état qu’ils flattent en ce moment, n’hésiterait peut-être pas à le prendre de leurs mains, sans conditions, sans doute ; mais nous croyons qu’il ne le leur rendrait pas sitôt qu’ils s’y attendent ; car M. Thiers sait, aussi bien que personne, que ce n’est pas avec les principes de l’extrême gauche qu’on gouverne un pays tel que la France, et qu’on le maintient en bons rapports, même avec les pays constitutionnels de l’Europe.

On peut s’expliquer de la sorte le désir qu’éprouvent les doctrinaires de voir M. Odilon Barrot entrer aux affaires avec M. Thiers. Ils y pousseraient, s’ils l’osaient, jusqu’à M. Mauguin. Le tour du parti doctrinaire ne revien-