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LIVINGSTON.

américains chargés de prendre possession de cette contrée. C’était le plus beau pays de la terre. Placé au centre du Nouveau-Monde, dans un golfe magnifique, traversé par le plus grand fleuve du globe, qui, navigable dans un cours de douze cents lieues, reçoit les nombreuses et larges rivières descendues des Montagnes Rocheuses et de la chaîne des Alleghanys, et forme avec elles une vallée immense et droite, à laquelle aboutissent de riches vallées transversales, comme les fortes branches d’un arbre gigantesque se rattachent à son tronc ; situé sous un climat propice, également à l’abri des hivers rigoureux qui engourdissent et des chaleurs brûlantes qui énervent ; possédant un sol propre à toutes les cultures, et que les inondations immémoriales du fleuve avaient préparé à une fécondité sans bornes, mais tout couvert de forêts primitives et de prairies inondées ; ce beau pays semblait promis à d’admirables destinées, lorsque l’homme s’y assujétirait la nature qui y régnait encore avec toute sa beauté, mais dans tout son désordre, et y établirait l’empire du travail et de l’intelligence.

C’est ce qui commença à l’arrivée des Américains. Le pays était resté jusque-là presque inculte et désert. Soixante-cinq mille habitans, épars sur deux cent mille lieues carrées, composaient toute sa population. Détachée depuis quarante ans de la France, peu affectionnée à l’Espagne, qui n’avait rien fait pour elle, la Louisiane se sentait attirée par la pensée, comme la matière muette l’est par l’attraction des masses, vers ce peuple nouveau, qui, à peine sorti d’une révolution, couvrait l’Océan de ses vaisseaux, remplissait les forêts de l’ouest de ses pionniers, peuplait les solitudes du Kentucky d’une race aventureuse, marchant lentement sans jamais s’arrêter, et arrivé sur le bord oriental du grand fleuve qui seul pouvait ouvrir la mer à ses produits et à ses efforts. Aussi apprit-elle avec joie que, cessant d’être colonie, elle était incorporée à cette nation libre, prospère, puissante. Trop vaste pour ne former qu’un seul état, elle fut divisée en quatre territoires, destinés à devenir quatre états distincts, sous les noms de Louisiane, d’Arkansas, d’Illinois et de Missouri.

Il y avait deux degrés d’initiation politique pour les pays annexés à l’Union. L’un consistait dans l’établissement d’un régime provisoire appelé gouvernement territorial ; l’autre dans l’établissement du régime définitif appelé gouvernement d’état. Le premier servait à organiser le pays et le conduisait doucement à la souveraineté, afin qu’il n’y arrivât point sans la préparation nécessaire et l’aptitude suffisante. Le second lui donnait une existence propre et lui permettait de se